C’est précisément pour se pencher sur ces réalités nouvelles que des personnes chercheuses de deux continents ont croisé leurs idées à Ottawa du 2 au 6 juin 2025.
Deux ans après un premier rendez-vous à Lyon, la Deuxième école internationale d’innovation juridique – qui se tenait cette fois au Canada – a donné lieu à une semaine riche en dialogue, en collaboration et en découvertes. Pour jeter un regard nouveau sur « la pédagogie et l’enseignement du droit », l’école a réuni principalement des professeures et professeurs ainsi que des personnes étudiantes au doctorat de la Faculté de droit Julie-Victoire Daubié de l’Université Lumière Lyon 2 et de la Section de droit civil. L’objectif consistait à explorer nos méthodes respectives d’enseignement du droit, l’importance du choix des méthodes et les moyens d’améliorer notre démarche pédagogique.
L’innovation pédagogique et le dialogue critique
Les professeures Pascale Cornut St-Pierre (vice-doyenne à la recherche, Section de droit civil, Université d’Ottawa) et Benjamin Moron-Puech(professeur de droit privé, Université Lyon 2) codirigeaient le comité organisateur, aussi composé des membre du corps professoral David Robitaille (Université d’Ottawa), Annie Rochette (Université d’Ottawa) et Valérie Goesel-Le Bihan (directrice de Transversales – Unité de recherche en droit, Université Lyon 2), de la maîtresse de conférence Oriane Sulpice (Lyon 2), du doyen adjoint à la recherche Maxime Raymond-Dufour (Université d’Ottawa), du doctorant Christian Mpabwa (Université d’Ottawa) et de la doctorante Laure Besson (Lyon 2). Guidée par la collégialité, la collaboration et une volonté de partager les connaissances, la réussite des efforts du groupe témoigne de la force du partenariat dynamique et évolutif entre les deux établissements.
Alors que la première édition de l'école était centrée sur les méthodes de recherche juridique, cette deuxième édition s'est penchée sur la question de savoir comment nous enseignons le droit – et pourquoi c'est important. Chaque journée combinait des séances dirigées et animées par des enseignants et des enseignantes universitaires, favorisant un dialogue collaboratif aux perspectives multiples qui brisait les hiérarchies académiques traditionnelles.
Emmanuelle Vulin (doctorante, Lyon 2) et Alouss Willy Doumbia (doctorant, Université d’Ottawa) ont ouvert le bal avec un sondage auprès de l’auditoire en temps réel pour comparer le poids des méthodes pédagogiques au Canada et en France. Les résultats ont donné lieu à une riche discussion sur les distinctions entre les méthodes françaises et canadiennes, tant en ce qui touche à la taille des groupes qu’à l’équilibre entre la théorie et la pratique. La table était mise pour la suite des échanges.

Une pédagogie adaptée à un monde en mutation
Certains ateliers incitaient à examiner les axes d’évolution des facultés de droit susceptibles de bien préparer la génération montante à un monde complexe. L’un d’eux, animé par la professeure Annie Rochette (Université d’Ottawa) et la maîtresse de conférences Victoria Fourment (Lyon 2), portait en particulier sur l’intérêt de sortir l’enseignement juridique du cadre stricte et classique de la doctrine. La séance a exploré la confluence des savoirs interdisciplinaires, de la pratique réflexive et du développement éthique comme moyen d’enrichir la formation juridique. L’atelier a également permis d’aborder les méthodes d’enseignement et d’évaluation, dont les approches par compétences et l’apprentissage expérientiel, autant de nouvelles perspectives sur la manière de mobiliser les personnes étudiantes dès leur premier cours de droit, jusqu’au niveau doctoral. Ces discussions ont mis en évidence la nécessité d’une formation juridique qui cultive à la fois la capacité d’analyse et l’identité professionnelle.
Le thème de la refonte de la formation juridique s’est placé en toile de fond tout au long de la semaine. Dans leur atelier, Sophie Thériault (doyenne par intérim, Section de droit civil, Université d’Ottawa), Eva Ottawa (professeure, Université d’Ottawa) et Oriane Sulpice (maîtresse de conférences, Lyon 2) ont traité de l’urgence de décoloniser la formation juridique et de favoriser la réconciliation en s’appuyant sur diverses épistémologies, en tenant compte de la pluralité linguistique et culturelle et en reconnaissant les traditions juridiques autochtones et non occidentales. L’atelier de Graham Mayeda (professeur, Université d’Ottawa) et Benjamin Moron-Puech (professeur, Lyon 2), quant à lui, explorait les défis liés à l’enseignement de sujets polémiques en cette époque marquée par le clivage des opinions. La grande question : comment trouver l’équilibre entre la liberté académique et l’expression respectueuse ? Conférencière invitée, Shauna Van Praagh (présidente de la Commission du droit du Canada et professeure à la Faculté de droit de l’Université McGill) s’est concentrée sur les intersections névralgiques entre l’éducation juridique et la réforme du droit. La dernière journée a été consacrée à l’éternel débat entre la théorie et la pratique dans l’enseignement du droit. João Velloso (professeur, Université d’Ottawa) et Aurélien Rocher (maître de conférences, Lyon 2) ont invité le groupe à réfléchir à la manière dont la professionnalisation, le contexte historique et l’influence de la réglementation ont façonné, et continuent de façonner, le programme d’études en droit des diverses facultés dans chaque pays.

La technologie transformative
Le rôle transformateur de la technologie dans la pédagogie juridique a été l’un des thèmes prépondérants. Par exemple, un atelier portait sur la manière dont les outils technologiques métamorphosent les méthodes d’enseignement et d’apprentissage du droit. Animé par Étienne Trépanier (Université d’Ottawa) et Marie Dochy (Lyon 2), l’atelier comprenait des présentations données par des membres du corps professoral qui ont intégré les technologies dans leur enseignement ou, au contraire, ont choisi de ne pas le faire. Portant tantôt sur les plateformes interactives (comme le cylindre immersif à 360° du laboratoire INNOVA, que le groupe a pu tester), tantôt sur les simulations multimédias et les environnements numériques collaboratifs, les présentations ont fait ressortir les avantages et les défis liés à l’innovation en salle de classe.
Une discussion ciblée, coanimée par Céline Castets-Renard (Université d’Ottawa) et Aurélien Rocher (Lyon 2), a également rassemblé les personnes présentes autour de la question de la place de l’intelligence artificielle dans l’enseignement du droit. Ainsi, on a examiné non seulement l’utilisation des outils d’IA à des fins pédagogiques, mais aussi l’importance de former la relève en droit sur l’IA elle-même : ses répercussions sur la pratique du droit, les questions éthiques liées à son utilisation et les fondements épistémologiques du droit. Globalement, un constat commun s’est imposé : un rapport réfléchi et prudent avec la technologie est essentiel pour préparer les juristes et les universitaires de demain à un environnement juridique de plus en plus numérique.

Une semaine de réflexion riche et tournée vers l’avenir
Tout au long de la semaine, les personnes participantes des deux universités se sont dites ravies de cette rare occasion de sortir de leur environnement institutionnel et de participer à un dialogue interculturel soutenu sur l’enseignement et l’apprentissage du droit. Les collègues en début de carrière universitaire ont joué un rôle particulièrement important durant la semaine, en offrant des points de vue nouveaux provenant des deux côtés de l’Atlantique quant au soutien apporté aux cohortes étudiantes, aux techniques d’enseignement et à l’avenir de l’éducation juridique.
Dans le cadre de la programmation de la semaine, les personnes participantes ont eu l’occasion de visiter des institutions clés du paysage juridique et politique canadien, notamment la Cour suprême du Canada, le Sénat et l’Édifice de l’Est de la Colline du Parlement. Ces visites ont été rendues possibles en partie grâce au soutien généreux du Sénateur René Cormier, que nous tenons à remercier chaleureusement. La délégation lyonnaise a ainsi pu découvrir des lieux emblématiques témoignant du patrimoine juridique et étatique du pays. Cette expérience a également mis en lumière la position unique de l’Université d’Ottawa, située au cœur de la capitale nationale, où la proximité des grandes institutions juridiques et gouvernementales enrichit tant l’enseignement que la recherche juridique par un contact direct avec le droit en action.
Le succès de cette deuxième édition confirme la pertinence de ce carrefour d’échanges transatlantiques consacré à la réflexion sur les questions fondamentales de l’enseignement et de la recherche juridiques. Tandis que les milieux de savoir en droit font sans cesse face à de nouveaux défis et à de nouvelles perspectives, ce genre d’initiative nous rappelle tout le progrès que nous pouvons accomplir lorsque nous unissons nos forces pour échanger, réfléchir et innover, peu importe notre origine.
La Section de droit civil remercie chaleureusement ses collègues de Lyon pour leur collaboration continue et toutes les personnes qui ont contribué au grand succès de la Deuxième école internationale d’innovation juridique.