Perspective internationale

Irlande

Bilinguisme irlandais et promotion linguistique

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Ireland
©Jacques Leclerc 2018

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Site web de référence: http://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/irlande.htm

La république d'Irlande (Republic of Ireland Poblacht na Héireann) constitue la partie sud de l'île de l'Irlande à l'ouest de l'île de Grande-Bretagne dont elle est séparée par la mer d'Irlande. On sait que le nord de l'Irlande est séparé politiquement du sud de l'Irlande depuis 1921. L'Irlande du Nord fait partie du Royaume-Uni, alors que la république d'Irlande au sud est un État indépendant depuis 1937.

L'Irlande n'est pas une fédération comme le Canada. C'est un pays unitaire divisé en 26 comtés disposant de très faibles pouvoirs de gestion. Mais c'est un pays officiellement bilingue, dont l'une des langues officielles est l'anglais, l'autre étant l'irlandais.

Langues en Irlande

Les Irlandais parlent l'anglais comme langue maternelle dans une proportion de 83,6 % et l'irlandais, dans une proportion de 3,5 % (environ 160 000 locuteurs). Le recensement de 1991 établissait que 32 % des Irlandais pouvaient parler l'irlandais, à un titre ou à un autre. Mais il est difficile de mesurer la capacité à parler irlandais de la part de la population. Des enquêtes récentes révèlent que 3,55 % des citoyens de ce pays peuvent parler l'irlandais sur une base régulière, mais les deux tiers d'entre eux ne le pratiqueraient jamais ou moins d'une fois par semaine. Seulement 70 000 personnes, soit 3 % des adultes, admettent le parler quotidiennement.  Près du tiers de tous les Irlandais affirment parler l'irlandais comme langue seconde et disent appuyer tous les moyens qui contribuent à la promotion de cette langue nationale. Autrement dit, la langue irlandaise est passée du statut de maternelle pour 2 % ou 3% de la population à celui de langue seconde pour plus de 40 % de la population. On constatera que la situation linguistique au Canada diffère beaucoup : la langue officielle minoritaire reste une langue maternelle, alors qu'en Irlande elle constitue pour la grande majorité une langue seconde.

Les régions considérées comme parlant irlandais sur la côte ouest, c'est-à-dire le Gaeltacht (prononcer [guel-taukt]) ne comptent que 23 % de la population nationale, mais pour 45 % des foyers parlant irlandais. Bref, l'usage de l'irlandais dans ces régions est bien supérieur à la moyenne nationale. Il semble que ces niveaux de connaissance soient restés stables en Irlande au cours des dernières décennies.

L'irlandais est une langue indo-européenne appartenant à la même branche celtique que l'écossais, le gallois, le mannois et, en France, le breton et le gaulois (disparu).  On l'appelle aussi le gaélique irlandais.

Bilinguisme officiel de l'État

Le bilinguisme revêt en Irlande une valeur hautement symbolique. En effet, la Constitution irlandaise reconnaît deux langues officielles, mais l'irlandais, « en tant que langue nationale » des Irlandais, est la « première langue officielle », l'anglais la « deuxième langue officielle ». On ne pourrait imaginer un tel statut pour les langues officielles du Canada, lesquelles sont considérées sur un pied d'égalité. C'est sans doute pour rehausser le statut de l'irlandais comme langue identitaire qu'il a été reconnu comme la « première langue officielle » par rapport à l'anglais. Bref, la «première» langue est hautement minoritaire et peu employée; la «deuxième» langue est omniprésente.

Toute la politique linguistique de la république d'Irlande vise à réintroduire formellement et juridiquement l'irlandais, la langue nationale, dans des domaines où il avait été évincé pendant plus de trois siècles. Non seulement au Canada le français n'a jamais été totalement évincé, même s'il n'a pas toujours eu la place qui lui revenait, mais la population francophone constituait une part beaucoup plus importante de la population canadienne que les irlandophones en Irlande.  De son côté, le gouvernement irlandais a dû tenir compte du fait que l'irlandais était la langue maternelle d'une infime partie de la population et que la quasi-totalité des citoyens ne parlaient que l'anglais. Par ailleurs, il ne pouvait pas ignorer que l'irlandais était constitutionnellement « la première langue officielle » de l'État, ce qui correspondait au caractère symbolique et identitaire de la langue irlandaise. 

Bref, le statut de l'irlandais et de l'anglais en Irlande ne correspond aucunement à celui du français et de l'anglais au Canada. Alors que les deux langues officielles sont considérées sur un pied d'égalité juridique au Canada, elles ne le sont pas en Irlande : l'irlandais a un statut juridique supérieur à l'anglais, mais dans les faits c'est l'anglais qui a toujours ce statut.

Le bilinguisme officiel se manifeste d'abord au Parlement (appelé Oireachtas). La Constitution de 1948 et la Loi sur les langues officielles de 2003 prévoient que les deux langues officielles sont utilisées dans les deux chambres de l'Oireachtas. Comme au Canada, les débats parlementaires se déroulent dans les deux langues, alors que les lois sont rédigées et promulguées dans ces mêmes langues. Cela dit, il existe quelques différences par rapport à la situation canadienne :

  1. Les lois sont d'abord rédigées en anglais, puis traduites en irlandais, ce qui n'est pas le cas au Parlement canadien;
  2. Il n'existe pas de traduction simultanée en Irlande, contrairement au Canada;
  3. L'irlandais est si peu employé qu'il rend inutile toute traduction simultanée, l'irlandais étant une langue seconde pour tous les députés.

Dans tous les tribunaux du pays, l'irlandais et l'anglais sont les langues autorisées. Le juge doit rendre sa sentence en anglais (pour être bien compris) et en irlandais (parce que c'est la première langue de l'État). En fait, il est très rare qu'un procès se déroule en irlandais. Si un témoin ou un défendeur demande à la cour le droit d'utiliser l'irlandais, il est obligatoire d'accéder à sa demande, même si cette demande peut entraîner des retards parfois considérables dans le traitement de l'affaire en cause; c'est notamment le cas lorsqu'un juge ou un avocat de l'une des parties ne parle pas couramment l'irlandais. La cour ne fournit jamais d'interprètes officiels. Les seuls procès à avoir lieu en irlandais impliquent généralement un militant nationaliste désireux d'utiliser quelques phrases en irlandais afin de manifester son caractère identitaire.

On voit qu'une telle situation diffère au Canada parce que le français n'est pas la langue seconde des francophones, mais leur langue maternelle. Dans les cours fédérales canadiennes, le juge doit comprendre sans interprète les intervenants (accusé, témoin, demandeur, avocat). En Irlande, la Loi sur les langues officielles prévoit des dispositions très précises en matière de langues officielles dans les tribunaux.

La loi régit aussi l'emploi des langues officielles dans les organismes publics. En ce sens, la législation irlandaise ressemble à la législation fédérale canadienne. Le public a, en Irlande comme au Canada, le droit de demander et de recevoir les services gouvernementaux dans la langue officielle de son choix. La différence, c'est que le nombre de demandeur en irlandais est tellement réduit qu'il se limite généralement dans les régions du Gaeltacht. Toute l'administration gouvernementale est bilingue, les fonctionnaires devant d'ailleurs réussir un examen de compétence de l'irlandais, du moins jusqu'en 1999. Depuis lors, le gouvernement oblige de la part de tout service administratif la présence d'au moins un fonctionnaire irlandophone. Le bilinguisme des services gouvernementaux reste plus symbolique que nécessaire, puisque l'insistance d'un citoyen à exiger l'irlandais de la part des organismes gouvernementaux peut aller jusqu'à entraîner de longs retards dans le traitement de son dossier, et ce, même si les documents écrits sont généralement bilingues. Afin de satisfaire aux exigences de la loi, les inscriptions sur les édifices gouvernementaux sont, comme pour le Canada fédéral, bilingues, mais l'usage en Irlande est de placer les mots anglais au-dessus des mots irlandais. Toutefois, la réglementation n'est pas toujours appliquée avec rigueur, puisque certaines municipalités présentent un visage unilingue anglais, l'application de cette réglementation étant laissée à la discrétion des municipalités (« local authorities »).

Dans le domaine de l'éducation, le bilinguisme est obligatoire. Toutes les écoles primaires doivent enseigner l'anglais et l'irlandais dès la première année, et ce, jusqu'à la fin du primaire. Le ministère irlandais de l'Éducation a adopté des mesures particulières (avec moins d'anglais) dans les districts celtophones du Gaeltacht où la langue maternelle est l'irlandais, la langue seconde, l'anglais. Au secondaire, l'enseignement de l'irlandais comme langue seconde devient facultatif, il peut être remplacé par le français, l'allemand ou toute autre langue. Même si la plupart des enfants consacrent jusqu'à 13 ans d'études à l'apprentissage de l'irlandais, les programmes scolaires ne produisent généralement pas d'usagers actifs très compétents en irlandais. La raison est simple : ils n'ont personne à qui parler en irlandais!

La Loi sur les langues officielles prévoit, à l'exemple du Canada, un poste de commissaire aux langues officielles (Oifig Choimisinéir na dTeangacha Oifigiúla), le titulaire du service étant désigné comme le « commissaire aux langues » (An Coimisinéir Teanga). Les fonctions du commissaire sont de contrôler la conformité aux dispositions de la loi par les organismes publics; prendre les mesures nécessaires pour assurer le respect par les organismes publics des dispositions de la Loi sur les langues officielles; faire des enquêtes sur la dérogation d'un organisme public; fournir des conseils ou toute autre assistance au public relativement à ses droits et venir en aide aux organismes publics en ce qui concerne leurs obligations en vertu de la loi; et vérifier si la disposition d'une loi ou d'un texte législatif relié au statut ou à l'usage d'une langue officielle a été ou non respectée.

Il faut bien admettre que la politique linguistique irlandaise ressemble en de nombreux points, du moins dans les textes juridiques, à celle du gouvernement canadien. On peut même se demander si la politique canadienne n'a pas inspiré la politique irlandaise! Cependant, c'est l'objet linguistique qui fait toute la différence! Il est vrai que l'irlandais n'est pas le français, mais surtout l'irlandais demeure pour la vaste majorité des Irlandais une langue seconde, alors que le français au Canada est une langue maternelle. L'irlandais n'est parlé que par 2 % des Irlandais comme langue maternelle, le français par 22,7 % des Canadiens. Il y a au Canada une masse critique suffisante pour une langue qui jouit au surplus d'un prestige international, ce qui n’est pas le cas de l’irlandais en Irlande.

Autrement dit, avec une politique similaire, les résultats s'avèrent différents. C'est que l'irlandais demeure une langue aux bases fragiles avec 2 % de celtiphones. Même si, en raison de sa présence obligatoire à l'école, quelque 40 % de la population possède une connaissance passive de la langue, l'irlandais reste encore une langue symbolique plutôt que vraiment utile dans la vie quotidienne. De plus, l'irlandais se voit confiné dans un territoire rural géographiquement circonscrit au sud-ouest du pays, le Gaeltacht, tandis qu'il est rejeté dans la vie urbaine, et ce, malgré une politique linguistique très volontariste des autorités (obligation scolaire de l'apprentissage, bilinguisme dans tous les actes officiels). C'est ce qui pourrait malheureusement expliquer en partie l'insuffisance de la politique linguistique irlandaise.

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