Des représentants de plusieurs nations européennes sont venus au Canada à partir du 10e siècle. Pendant quelques siècles, ce furent des commerçants, des pêcheurs et quelques explorateurs qui pénétrèrent sur le continent. Puis vinrent des explorateurs mandatés officiellement par leur pays pour prendre possession du territoire.

Premiers voyages des Européens

Vikings

Les premiers Européens à venir au Canada furent probablement les Vikings, alors qu'au 10e siècle ils débarquèrent à la terre de Baffin et le long de la côte de l'Atlantique (Labrador). Entre 990 et 1050, ils fondèrent une petite colonie sur l'extrême pointe nord de Terre-Neuve, à l'emplacement de l'actuelle Anse-aux-Meadows, non loin de Saint Anthony. Malgré leurs tentatives d'établissement en « territoire canadien », particulièrement dans l'île de Terre-Neuve, les voyages des Vikings n'eurent pas de suite. Plus tard, vers 1390, des baleiniers basques partis de Saint-Jean-de-Luz traversèrent l'Atlantique à la recherche des grands cétacés; ils les ont trouvés aux confins d'une île inconnue qu'ils nommèrent terre des Basques (Terre-Neuve). Les Basques ne s'installèrent pas à demeure. 

picture of a boat in the ocean

Jean Cabot et Giovanni de Verrazano

En 1497, Giovanni Caboto (Jean Cabot), un explorateur génois à la solde de l'Angleterre (sous le règne de Henri VII), se rendit à Terre-Neuve (qu'il appela Founde Isle, c'est-à-dire « Île nouvelle »), déjà connue sous le nom portugais de Terra dos Bacalhais (« terre des Morues »), et au Cap-Breton (aujourd'hui en Nouvelle-Écosse), alors qu'il croyait avoir découvert les Indes (la côte nord de l'Asie). Il aurait pris possession du territoire au nom du roi d'Angleterre Henri VII. Certains historiens le considèrent comme le premier découvreur du Canada actuel, mais aucune colonisation ne fut établie. Cabot fut avant tout celui qui rapporta en Europe la nouvelle de la découverte des Grands Bancs de morues, car ensuite Portugais, Espagnols, Français (basques, bretons, normands) et Anglais se ruèrent sur cette île que les Bretons appelleront désormais comme les Portugais Terre des Morues ou Île des Morues.

Un Portugais du nom de João Fernandes dit Llavrador (c'est-à-dire un « laboureur »), un propriétaire foncier originaire des Açores, aurait exploré en 1499 l'île de Terre-Neuve et le Labrador; il aurait été suivi en 1501 par d'autres compatriotes, notamment les frères Miguel et Gaspar Corte Real. D'ailleurs, d'anciennes cartes font référence à Terre-Neuve et au Labrador comme étant la « terra de Corte Real ». Puis des pêcheurs portugais établirent de petites bases sur une côte qu'ils appelleront la Terra do Lavrador (« terre de Labrador), du nom du cartographe João Fernandes Llavrador. À ce moment, le nom de Labrador ou Lavrador était appliqué à une terre qui, croyait-on, s'étendait sans interruption du Groenland à Terre-Neuve; lorsqu'on sut que le Groenland était séparé de la côte canadienne par la baie de Baffin et le détroit de Davis, l'emploi du mot Labrador fut limité à la côte nord-est du continent. Il ne reste de ces voyages des Portugais que des toponymes tels que Labrador, ainsi que certains adoptés par l'intermédiaire de l'espagnol comme Cabo Raso (« cap Race »), Boa Vista (« Bonavista »), Terra dos Baccalaos (« terre des Morues »). Puis d'autres Européens, des Scandinaves, des Bretons et des Basques, commencèrent, durant la belle saison, à exploiter les pêcheries de l'Atlantique nord, mais il ne s'en est pas suivi de colonisation.

En 1524, Giovanni de Verrazano entreprit au nom du roi de France un voyage de reconnaissance en  Amérique du Nord. Après avoir abordé la Caroline du Nord, il remonta le littoral jusqu'à l'embouchure de la rivière Hudson, puis jusqu'à l'île du Cap-BretonIl donna le nom de Nova Gallia (ou Nouvelle-France) à tous ces territoires abordés. Il en profita aussi pour nommer des lieux tels que Dieppe, Honfleur, Arcadie, le fleuve Vendôme (le Delaware), la côte de Lorraine (région du Delaware et du New Jersey), le pays d'Angoulême (New York), etc. Ces toponymes ne connaîtront qu'une existence éphémère, car ils disparaîtront presque aussitôt pour acquérir une nouvelle dénomination anglaise. De plus, il ne résultat aucune colonie de peuplement des voyages de Verrazano. 2.1.3 Jacques Cartier et Samuel de Champlain

Giovanni Caboto, João Fernandes the Llavrador, Giovanni de Verrazano

Jacques Cartier et Samuel de Champlain

Il faudra attendre le Français Jacques Cartier pour assister à une « tentative » de peuplement. Le roi de France, François Ier, voulut donner une suite aux voyages de Verrazano. Un ordre daté de mars 1534 mit à la disposition de Cartier une somme d'argent destinée à l'équipement de navires. Le navigateur de Saint-Malo fit trois voyages au Canada (1534, 1535 et 1541) au cours desquels il reçut la mission de « faire le voyage de ce royaume dans les Terres Neuves pour découvrir certaines îles et pays où l'on dit qu'il se doit trouver grande quantité d'or et autres riches choses ».

Cartier découvrit la baie des Chaleurs, la baie de Gaspé (où il planta une croix au nom du roi de France), l'île d'Anticosti, puis Tadoussac, Québec (alors Stadacona) et Montréal (alors Hochelaga). Il en profita pour donner les premiers noms de lieu français au Canada.

Lors de son troisième voyage, Cartier fit voile avec cinq navires et 1500 personnes à bord. Après un dur hiver où ils souffrirent de la faim et du scorbut, les Français levèrent le camp et retournèrent en France. Bien que le navigateur français ait échoué à fonder un établissement au Canada, il donna à la France des droits sur le territoire. Au sens strict, Jacques Cartier n'est pas le découvreur du Canada actuel puisqu'il ne parcourut pas le Nouveau-Brunswick, ni la Nouvelle-Écosse ni l'île du Prince-Édouard. En fait, Cartier fut le découvreur de la vallée du Saint-Laurent; il appellera le fleuve « rivière du Canada ». Rappelons que c'est à Jacques Cartier qu'on doit le nom de Canada au pays : en entendant le mot iroquois (plus précisément mohawk) kana:ta, qui signifie « ville » ou « village », il crut que le terme désignait le pays tout entier. Au plan linguistique, les voyages de Cartier contribuèrent à fixer très tôt la toponymie de l'est du Canada : les noms de lieu sont ou français ou amérindiens depuis cette époque. Cartier aura eu le mérite d'établir les bases de la cartographie canadienne et d'avoir découvert le grand axe fluvial grâce auquel la Nouvelle-France pourra recouvrir, pour un temps, les trois quarts du continent nord-américain. En Acadie, certains toponymes à l'origine français deviendront plus tard anglais (après le traité d'Utrecht de 1713).

Jacques Cartier and Samuel de Champlain

Par la suite, des commerçants français vinrent périodiquement y faire la traite des fourrures. La région de Terre-Neuve, très poissonneuse, devint une source de richesse pour les flottes de pêche françaises, mais aussi anglaises, espagnoles, basques et portugaises, qui exploitèrent régulièrement le Grand Banc, au large de Terre-Neuve. Tous ces gens parlaient leur langue maternelle respective; mais comme il n'existait pas encore de colonie, aucune langue ne s'installa sur le territoire.

Fait non négligeable, les voyages de Jacques Cartier préparèrent ceux de Samuel de Champlain et de ses successeurs. On peut tout de même dire que Cartier est au point de départ de l'occupation française au Canada, du moins en Acadie et dans la vallée du Saint-Laurent. Mais il faudra attendre une soixantaine d'années avant que la France s'intéresse encore à ce qui allait devenir le Canada.

Explorateurs Britanniques

Du côté des Britanniques, les explorateurs Martin Frobisher dans les années 1570, et Henry Hudson, de 1609 à 1611, cherchèrent en vain, eux aussi, un passage vers l'Asie. Frobisher fit trois voyages (1576-1577-1578) dans l'Arctique canadien au nord de la baie de l'Ungava (île de Baffin) et il fut le premier Européen à naviguer dans ce qui sera connu plus tard sous le nom de détroit d'Hudson (Hudson Strait) et en explora les rives sud jusqu'au fond de la baie (la baie James) qu'on appellera baie d'Hudson.  Même si ses découvertes parurent nulles à l'époque, le navigateur avait ouvert aux Britanniques la voie des régions arctiques et commencé à donner des noms de lieux anglais (Cape Digges, Cape Wolstenholme, etc.).
Il y eut aussi John Davis qui entreprit en 1585 un premier voyage de découverte au pôle Nord; la carte actuelle des régions polaires a perpétué ainsi les noms de ses protecteurs, amis, armateurs (CumberlandGilbertExeterRaleigh, etc.). Dans ce qui est l'actuel Canada, la région de la Baie d'Hudson fut d'abord anglaise; elle sera longtemps inaccessible aux Français. En 1615, l'Anglais William Baffin explora le détroit d'Hudson et effectua des relevés de navigation avec une précision remarquable; lors d'une autre expédition en 1616, il explora en partie la baie nommée en son honneur baie de Baffin. Ainsi, la baie d'Hudson, si l'on se fie aux dénominations toponymiques, est avant tout une contrée anglaise, donc  non française.

En 1583, le Britannique Humphrey Gilbert avait quitté Plymouth et s'était rendu à Saint-John's dans l'île de Terre-Neuve où il avait pris symboliquement possession du territoire au nom de la reine Elizabeth 1e. En 1596, les Anglais furent expulsés de l'île par des Basques et des Malouins (bretons et normands), mais plusieurs revinrent dans les années 1630, afin de pêcher dans les bancs de Terre-Neuve. Cependant, les pêcheurs anglais et écossais découragèrent toute tentative de colonisation sur l'île. Bref, avant la fondation de la Nouvelle-France et du Canada, Français et Britanniques préparaient la conquête des territoires de l'Amérique du Nord. Les Français avaient exploré la vallée et le golfe du Saint-Laurent et Terre-Neuve; les Anglais, les territoires situés plus au nord.

 Martin Frobisher, Henry Hudson, William Baffin, John Franklin

Pour sa part, le Danois Vitus Bering ouvrit en 1728 une voie commerciale entre l'Alaska et la Russie. L'arrivée d'autres explorateurs européens s'effectua par l'ouest et par l'est. Le Britannique Henry Kelsey ouvrit une piste pour le compte de la Compagnie de la Baie d'Hudson, à partir de la baie d'Hudson, qui le mena, en 1690-1692, dans les Prairies (aujourd'hui les provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan). Si diverses routes furent ouvertes vers 1650 dans les vastes plaines par des découvreurs français (Pierre Radisson et Médard Chouart, sieur des Groseilliers), il faudra attendre l'Écossais Alexander Mackenzie qui, le premier en 1793, atteignit les océans Arctique et Pacifique par voie de terre, et, plus tard, son compatriote britannique John Franklin qui, en 1845, partant de l'intérieur du pays, remonta plusieurs fleuves en canot et explora la côte septentrionale vers l'Arctique; mais il ne revint jamais de son voyage. Lui et son équipage périrent en 1847 après que leurs navires eurent été immobilisés par la glace. Les expéditions de Franklin ont tout de même contribué à approfondir la connaissance des Territoires du Nord-Ouest et d'une partie de l'Arctique.

Canada à l'époque de la Nouvelle-France

Le roi Henri IV de France établit les premières compagnies françaises de colonisation au Canada, dorénavant appelé la Nouvelle-France. Un monopole octroyé à Pierre de Gua, sieur de Monts, en 1603, établit des comptoirs commerciaux en Acadie et le long du Saint-Laurent.

En 1608, Samuel de Champlain, un explorateur engagé par de Monts, fonda la ville de Québec; il devint le principal organisateur de la colonisation française au Canada, de l'Acadie jusqu'aux Grands Lacs. Au cours d'une douzaine de voyages au Canada, Champlain ne réussira qu'à former une colonie d'une centaine de personnes, mais aucun Français ne s'installa sur le territoire. En 1627, sous Louis XIII, le cardinal de Richelieu créa la Compagnie de la Nouvelle-France pour développer la traite des fourrures. En 1642, Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, fonda Ville-Marie (Montréal). Par la suite, les progrès de la colonie française demeurèrent assez minces puisqu'on ne comptait encore qu'une centaine d'habitants dispersés en deux groupes, l'un à Québec, l'autre à Port-Royal (en Acadie).

Durant ce premier siècle, le peuplement de ce qui était alors la Nouvelle-France s'est révélé bien mince. Il s'agissait d'une toute petite population qui revendiquait au surplus une grande partie du territoire nord-américain.

New France
© Jacques Leclerc 2018

En effet, jusqu'au traité d'Utrecht de 1713, la Nouvelle-France finit par compter cinq colonies ou territoires possédant chacun une administration propre : le Canada (région des Grands Lacs, vallée de l'Ohio et vallée du Saint-Laurent), l'Acadie (Gaspésie, Nouveau-Bruswick, Nouvelle-Écosse, île Saint-Jean et île Royale), la baie d'Hudson (et baie James), Terre-Neuve et la Louisiane. Ainsi, à la fin du 18e siècle, le territoire qu'on appelait la Nouvelle-France couvrait une superficie considérable et s'étendait de la terre de Baffin au nord jusqu'au Mexique au sud et comprenait pratiquement la moitié du Canada et des États-Unis actuels.

Le Canada comptait 55 000 habitants, l'Acadie, 10 000 habitants, la lointaine Louisiane, 4 000. L'île de Terre-Neuve et la baie d'Hudson ne comptaient pas de population résidante de façon permanente. 

Population française du Canada

Le Canada de la Nouvelle-France, on le sait, s'étendait de la vallée du Saint-Laurent jusqu'aux Grands Lacs et la vallée de l'Ohio plus au sud, ce qui correspond aujourd'hui au sud de l'Ontario, l'Ohio, le Michigan, l'Indiana, l'Illinois, le Wisconsin et le Minnesota. La région des Grands Lacs était aussi appelée au temps de la Nouvelle-France le « pays d'en haut », ce qui deviendra en 1791 le Haut-Canada. Autrement dit, le Canada de l'époque s'étendait plus au sud des Grands Lacs et permettait une continuité entre la vallée du Saint-Laurent au nord et la Louisiane au sud.

La vallée du Saint-Laurent

Entre 1627 et 1663, la population du Canada passa de 100 habitants à quelque 2500. En 35 ans, environ 1250 immigrants français vinrent augmenter la petite population d'origine; la natalité doubla le contingent. Déjà à cette époque, les immigrants venaient de la plupart des provinces de France, soit 29 provinces sur 38. Certaines provinces jouèrent un rôle prépondérant : la Normandie (282 immigrants), l'Aunis (204), le Perche (142), Paris et l'Île-de-France (130), le Poitou (95), le Maine (65), la Saintonge (65), l'Anjou (61), etc. La plupart des immigrants français venaient de la région parisienne, du nord et de l'ouest de la France. Bien que beaucoup d'entre eux soient relativement patoisants (normand, saintongeais, poitevin, angevin, etc.), c'est le français parisien qui fut introduit dans la vallée du Saint-Laurent. Il s'agissait d'un français populaire caractéristique des classes paysannes du 18e siècle. Par ailleurs, dès 1667, un décret royal avait réservé les colonies du Canada et de l'Acadie aux seuls catholiques. Toutefois, il y eut toujours des protestants (des huguenots) qui y séjournèrent au cours du régime français. On compterait quelque 3 000 huguenots qui seraient venus au Canada, dont le tiers se serait installé en adoptant un catholicisme de façade. Mais il y en eut plus de 100 000 (peut-être 200 000) qui partirent de France pour s'installer aux États-Unis; on imagine jusqu'à quel point le Canada aurait été tout autre si ces huguenots avaient immigré dans la vallée du Saint-Laurent!

Valley of the St.Lawrence

Le Canada compta aussi de nombreux prisonniers de guerre amenés par les Amérindiens, soit quelques centaines de captifs. En général, il s'agissait de Britanniques de la Nouvelle-Angleterre, qui finissaient par s'intégrer à la société canadienne et s'assimiler, surtout lorsqu'ils étaient assez jeunes. D'autres pouvaient s'intégrer à une communauté indienne. Soulignons aussi qu'il y eut quelques centaines d'esclaves noirs ramenés des Antilles et installés pour la plupart à Québec ou à Montréal. Il n'y a jamais eu d'importations massives par bateau, car il s'agissait de cas individuels (des individus achetés ou des prises de guerre)

Louis XIV, Jean Talon

En 1665, Louis XIV décida l'envoi de tout un régiment, le Carignan-Salières, d'environ 1 200 hommes, afin de pacifier les Iroquois. Pour hâter le peuplement, l'État obligea les capitaines de navires marchands à transporter des colons et à instaurer le système seigneurial. Les officiers commandaient en français aux soldats patoisants, semi-patoisants ou déjà francisés. On croit que les forces armées contribuèrent pour beaucoup à propager le français de Paris au Canada. Évidemment, toute l'Administration française des colonies de la Nouvelle-France n'utilisait que le français de la région de Paris à l'égard de ses administrés. De nombreuses familles québécoises d'aujourd'hui portent encore des patronymes issus des noms ou surnoms des militaires : Deslauriers (de laurier), Laterreur (de terreur), Laflèche (de flèche), Lafleur (de fleur), Ladouceur (de douceur), Latulipe (de tulipe), Laliberté (de liberté), Lafortune (de fortune), Lacombe (70 % des Lacombe sont les descendants de Pierre Balan dit Lacombe, un nom répandu dans l'ouest de la France), Lamarche (de marche), Lamontagne (de montagne), Laplante de plante), Grand-Maison, Larose (de rose), Lafontaine (de fontaine), Labonté (de bonté), etc.

Carignan-Salières Regiment-1665

Mais la politique de peuplement ne pouvait réussir que si elle s'appuyait sur une intense politique de mariages. Entre 1665 et 1673 (l'année où l'intendant Jean Talon mit fin à leur venue), le roi fit donc passer près de 900 « filles du roy » au Canada afin de procurer des épouses aux colons, l'élément féminin de la population étant jugé trop minoritaire par rapport à l'élément masculin (environ 1 pour 2). L'arrivée des premières « filles du roy » suscita une certaine résistance dans la colonie où, semble-t-il, la décision d'organiser des mariages fut d'abord mal perçue parce que ces femmes paraissaient en général « assez délicates », « peu robustes » et « élevées en vue du service des grandes dames ». Ces futures épousées étaient en réalité des orphelines élevées par des religieuses aux frais du roi dans les grands couvents et dans les Maisons d'éducation de Paris, de Dieppe, de Honfleur et de La Rochelle. Comme elles étaient élevées dans les maisons de l'État, elles parlaient toutes français et non pas les « patois » encore en usage partout en France, sauf à Paris (ou l'Île-de-France). La moitié d'entre elles était déjà originaire de cette région, dont une bonne partie de la Salpêtrière qui dépendait de l'Hôpital général créé par Louis XIV. Afin de favoriser les mariages et la natalité, les autorités françaises soumirent à l'amende les hommes célibataires et accordèrent des dots aux filles et des gratifications aux familles nombreuses. C'est donc en partie grâce aux « filles du roy » que la langue française se répandit partout au Canada, alors qu'à cette époque la majorité des Français parlaient encore leur patois local. Précisons que la langue française était généralement  connue de façon passive par beaucoup de paysans français à l'époque, surtout ceux habitant près des grands ports de mer comme Dieppe, Honfleur ou La Rochelle.

Arrival of the Prides

La politique de mariages connut un vif succès si l'on se fie au taux de natalité : 7,8 enfants par femme. Avantagé par un taux extraordinaire de natalité et par une immigration abondante, le Canada de la Nouvelle-France vit multiplier sa population; de 2 500 habitants en 1663, elle passait à 20 000 en 1713 et à 55 000 en 1755. Cela dit, par comparaison avec la Nouvelle-Angleterre, on ne saurait donner meilleur exemple de manque de fermeté colonisatrice que celui de la Nouvelle-France. Entre 1633 et 1760, soit en moins de 130 ans, la France enverra en moyenne 56 immigrants par année au Canada, alors que l'Angleterre expédiera annuellement dans ses colonies d'Amérique environ un millier de ses citoyens. Ce déséquilibre démographique préfigure la conquête de 1760 davantage que la défaite militaire.

Le « pays d'en haut » (région des Grands Lacs)

La politique métropolitaine ne favorisa jamais l'expansion de la colonie de peuplement à l'extérieur de la vallée du Saint-Laurent. Mais les ambitions des administrateurs coloniaux et des habitants canadiens désireux d'exploiter les ressources ne coïncidaient pas toujours avec celles de la France. Le « pays d'en haut » constituait, depuis le début de la fondation du Canada, le réservoir des fourrures à destination de Montréal, puis, plus tard, la porte d'entrée vers la Louisiane. C'est d'ailleurs en explorant les Grands Lacs que Louis Joliet, aidé du père Marquette, découvrit le Mississipi (désigné alors sous le nom de fleuve Colbert) en juin 1673, ce qui permit à Robert Cavelier de La Salle (1643-1687) de descendre le fleuve jusqu'au golfe du Mexique et, le 9 avril 1682, de fonder officiellement la Louisiane en l'honneur du roi Louis XIV (et de sa femme Anne d'Autriche).

"Upper Country" (the Great Lakes region)

Samuel de Champlain avait passé les années 1615-1616 dans le « pays d'en haut » afin de promouvoir le commerce des fourrures et de favoriser l'établissement de missions auprès des Amérindiens. Ce fut d'abord les récollets (1615), puis les jésuites (1626) et les sulpiciens (1669). Jusqu'au début du 18e siècle, il n'y eut jamais de femmes françaises, ni de familles ni de colonisation dans le « pays d'en haut », seulement des missionnaires, des coureurs des bois et des militaires, qui répandirent le français auprès des autochtones. Ce sont les missionnaires qui tentaient surtout de franciser les autochtones en les convertissant à la foi chrétienne, tout en leur transmettant des maladies. D'ailleurs, les Hurons mirent du temps à comprendre que, contrairement aux avertissements des missionnaires, la colère de Dieu ne s'abattait pas sur eux pour les punir de leur impiété, puisque ces derniers étaient eux-mêmes la principale cause de la malédiction qui pesait sur eux.

Le principal intérêt économique du pays d'en haut résidait dans le commerce de la fourrure. On comprendra que les autorités françaises virent d'abord d'un mauvais oeil ceux qui devenaient coureurs des bois et parcouraient durant des années le « pays d'en haut », c'est-à-dire la région des Grands Lacs et, plus au sud, la vallée de l'Ohio. Environ 2 000 Français vivaient dans cette grande région de traite des fourrures où, avec des épouses indiennes et des enfants métis, ils formaient une classe bien différente des Français de la vallée du Saint-Laurent. Malgré tout, ces individus (officiellement célibataires) faisaient connaître la présence française à l'ouest du territoire colonisé. Les fonctionnaires de la vallée du Saint-Laurent se mirent à encourager le métissage, car ils y voyaient un moyen d'assimiler la population autochtone et une façon de peupler la colonie sans le recours à l'immigration massive de France. Mais le métissage n'entraîna pas l'assimilation des peuples autochtones; il donna plutôt naissance à un peuple distinct, les Métis, qui fondèrent leurs propres communautés le long des rives des Grands Lacs. La plupart de ces Métis finirent par parler français, même si leur langue contenait beaucoup de mots amérindiens rappelant une partie de leur origine; ils conservèrent aussi une grande part de la culture amérindienne

La majorité des coureurs des bois apprenaient une ou plusieurs langues amérindiennes, mais ils inculquaient également les rudiments du français aux autochtones à un point tel que la langue véhiculaire entre Européens et Amérindiens devint rapidement le français dans la plus grande partie de l'Amérique du Nord. À la fin du 17e siècle, le gouverneur de la colonie de New York (1674–1681), sir Edmund Andros (1637–1714), reconnaissait qu'aucun de ses interprètes ne pouvait rivaliser avec ceux des Français en raison de leurs grandes connaissances des langues amérindiennes. Plus d'un siècle plus tard, soit en 1836, l'écrivain américain Washington Irving (1783-1859) attestait dans Astoria or Anecdotes of an Enterprise beyond the Rocky Mountains qu'« un patois français brodé de phrases anglaises et de mots indiens » était demeuré la langue de la traite des fourrures, à l'ouest du lac Supérieur. En somme, les coureurs des bois du Canada servaient de moyen efficace pour propager le français chez les autochtones.

À partir de 1705, l'immigration française débuta lentement avec l'arrivée de quelques familles dans la région de Détroit, aujourd'hui Windsor (fondé par Lamothe Cadillac), où la France avait construit des postes  de traite fortifiés destinés à contrer la contrebande avec la Nouvelle-Angleterre : Fort Frontenac (aujourd'hui Kingston), Fort Pontchartrain (aujourd'hui Détroit), Fort Michilimackinac, Fort Niagara et Fort Rouillé (aujourd'hui Toronto). Cadillac tenta bien de franciser les autochtones, mais il n'en résulta que des conflits. À la fin du régime français, Détroit (Windsor) était devenue la plus grande ville française du « pays d'en haut » avec une population de 800 habitants.

La région des Grands Lacs (Michilimackinac, Sault-Sainte-Marie, Fort Frontenac et Niagara) et la vallée de l'Ohio au sud du lac Érié, comptaient bien, au plus fort de leurs activités, une population de 2 500 personnes, dont beaucoup de soldats et de commerçants. Après la prise du Fort Frontenac en 1758, toutes les garnisons militaires se replièrent à Montréal, en ne laissant que les colons et les coureurs des bois. Pendant longtemps, la région, considérée officiellement par les autorités britanniques comme « non habitée » resta le pays des autochtones, des Métis et des colons francophones.

A coureurs des bois

L'Acadie fut fondée en 1604, quatre ans avant Québec, avec comme capitale Port-Royal sur le bassin d'Annapolis. L'Acadie française correspondait plus ou moins à l'actuelle province de la Nouvelle-Écosse. En 1631, la région fut intégrée en tant que colonie autonome de la Nouvelle-France sous le nom d’Acadie. Dans sa plus vaste extension, l'Acadie couvrit la Gaspésie (Québec), la baie des Chaleurs, le Nouveau-Brunswick actuel et une partie du Maine, l'île Saint-Jean (île du Prince-Édouard), la Nouvelle-Écosse et l'île Royale (Cap-Breton). Au début du 18e siècle, la plupart des immigrants français qui s'étaient établis en Acadie étaient installés tout le long du littoral de la Nouvelle-Écosse. En 1607, une bonne partie de la petite colonie acadienne fut rapatriée en France, mais un petit nombre de Français décida de rester en Acadie.

En raison de sa proximité avec la Nouvelle-Angleterre, l'Acadie française suscita très tôt la méfiance des Britanniques. En 1613, des Anglais arrivés de la Virginie détruisirent les installations des Acadiens dans la région de Port-Royal.

Acadia

En 1621, l'Angleterre revendiqua l'Acadie rebaptisée sous la forme latine de Nova Scotia (plutôt que la forme anglaise de New Scotland, c'est-à-dire « Nouvelle-Écosse »), mais le traité de Saint-Germain-en-Laye de 1632 reconnut la souveraineté française en Acadie. Le rêve de sir William Alexander de fonder une colonie qui porterait le nom de son pays d'origine, l'Écosse, allait être reporté à plus tard. Néanmoins, la menace anglaise demeura présente, car jusqu'au traité de Breda (1667) qui rétrocéda le territoire à la France, l'Acadie resta 32 ans française, contre 31 ans anglaise, avec le résultat que cohabitèrent presque toujours de nombreux villages d'ascendance française et d'ascendance anglaise ou écossaise. Entre 1604 et 1670, la population acadienne (ou française) se concentrait surtout à Port-Royal. À partir de 1670, on développa de nouveaux établissements d'abord à Chignectou vers 1670, puis Les Mines vers 1680. En 1713, on ne comptait environ que 2500 Acadiens. Originaires de France, les Acadiens provenaient surtout du Poitou, de l'Anjou et de la Vendée, auxquels s'ajoutèrent des pêcheurs basques, bretons et même quelques immigrants écossais. Moins influencés par le français de la région de Paris, les Acadiens conservèrent un français plus régionalisé, mais qui ressemblait pour l'essentiel à celui des Canadiens de la vallée du Saint-Laurent. 

Colonie terre-neuvienne

Vers 1550, les ports de France envoyaient quelque 500 navires vers Terre-Neuve, tandis que ceux de l'Angleterre armaient encore peu de navires. Le gouvernement français avait fondé une petite colonie royale à Plaisance en 1662, au sud-ouest de la péninsule d'Avalon. Il existait alors de nombreux petits villages français tout le long de la côte ouest, la côte nord jusqu'au cap Bonavista et au sud jusqu'au minuscule archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Au plus fort de la présence française sur l'île, soit entre 1678 et 1688, quelque 20 000 Français se consacraient à la pêche durant la belle saison, mais un recensement de 1687 évaluait la population permanente de la colonie française à seulement 638 habitants. Les pêcheurs français installés à Terre-Neuve étaient surtout originaires de la Bretagne et du Pays basque. Les Basques étaient concentrés sur la côte ouest de l'île. En général, les Basques parlaient le basque, les Bretons le breton, mais l'administration n'utilisait que le français. En 1700, la colonie française comptait quelques fonctionnaires et était devenue une composante coloniale à part entière de la Nouvelle-France, à côté du Canada, de l'Acadie et de la Louisiane. L'économie de la colonie de Terre-Neuve reposait entièrement sur la pêche à la morue et le commerce. Cela dit, les Terre-neuviens français de l'époque n'ont laissé que peu de traces, sauf dans la toponymie avec des noms normands (cap NormandGranville) et bretons (GroixBelle-IsleToulinguet, etc.).

Newfoundland around 1680

Durant ce temps, l'Angleterre avait installé sa capitale à Saint John's, au nord-est de la péninsule d'Avallon. Un recensement mené en 1680 a révélé que 1 700 personnes vivaient en permanence sur la côte anglaise, à l'est entre Bonavista et Trepassey. Évidemment, l'île de Terre-Neuve deviendra très tôt un enjeu dans la rivalité franco-anglaise pour la domination des mers. C'est ainsi qu'en 1694 Pierre Le Moyne d'Iberville, le plus célèbre aventurier canadien, né à Ville-Marie (Montréal), marcha, avec son armée de quelque 200 volontaires et des Amérindiens alliés, sur la capitale anglaise de St John's. La ville fut incendiée et 36 autres établissements anglais furent détruits, en plus de capturer quelque 700 prisonniers. Les Britanniques n'ont pas beaucoup apprécié !

Au plan démographique, la Nouvelle-France, avec ses diverses colonies, restait très peu peuplée en regard des colons amenés en Nouvelle-Angleterre. On peut même dire que la suite de l'histoire sera surtout le résultat d'une course démographique disproportionnée entre deux empires, l'un français, l'autre britannique. Soixante-dix ans après les voyages de Jacques Cartier (1534), Champlain fondait Québec, mais il n'y avait presque plus de Français en 1633, l'année qui marqua la fin d'une occupation de trois ans par quelque 200 Anglais. Il fallut repartir de zéro, alors que la population des colonies de la Nouvelle-Angleterre augmentait considérablement. En 1628, la Nouvelle-France comptait 207 habitants, la Nouvelle-Angleterre 2 500; en 1663, la Nouvelle-France était passée à 3 600, la Nouvelle-Angleterre à 70 000. Un siècle plus tard, ce sera un rapport de un contre vingt : 70 000 francophones contre 1,6 million d'anglophones! Cette étrange disproportion démographique préfigure l'écrasante domination de la langue anglaise en Amérique du Nord aujourd'hui.

Pierre Le Moyne d'Iberville

Colonisation britannique

À la suite des découvertes des premiers explorateurs tels que Giovanni CabotoHumphrey GilbertMartin FrobisherHenry HudsonWilliam Baffin, etc., l'Angleterre s'intéressa au Nouveau Monde. La première colonisation anglaise d'outre-mer eut lieu en 1607 en Virginie (Nouvelle-Angleterre), ainsi nommée en l'honneur d'Élisabeth 1e d'Angleterre, surnommée la « reine vierge » (Virgin Queen, en anglais, d'où Virginia).

Par la suite, l'Angleterre commença à vouloir monter vers le nord. Auparavant, sir Humphrey Gilbert avait fait escale dans le havre de Saint John's à Terre-Neuve en 1583; au cours de ce voyage, il avait revendiqué le territoire au nom de la reine Élisabeth 1e. Cette entreprise, qui échouera, était motivée par la volonté de l'Angleterre d'étendre son emprise sur la pêche et le commerce du poisson.

Colonie de Terre-Neuve

Ainsi, la seconde colonisation anglaise commença en principe en 1610 à Terre-Neuve, plus précisément à l'Anse-à-Cuper (aujourd'hui Cupids). C'est l'explorateur anglais John Guy qui s'établit dans la baie de la Conception, au nord-ouest de la péninsule d'Avalon, avec une quarantaine de colons. Toutefois, des pêcheurs français, espagnols, portugais et anglais habitaient déjà l'île depuis près d'un siècle. John Guy agissait pour le compte de la Newfoundland Colonization Company, qui appartenait à sir Francis Bacon. La ville de St John's s'agrandit, la pêche augmenta et des marchands (surtout anglais) s'établirent le long du port. En 1638, sir David Kirke se fit concéder la partie anglaise de l'île de Terre-Neuve, mais cette occupation britannique fut contestée par les Français. L'autorité sur l'île n'était alors exercée que de façon saisonnière par ce qu'on appelait des « amiraux de pêche ». Une telle pratique ne favorisait guère la colonisation.

En 1662, les Français quittèrent St John's pour s'installer à Plaisance (aujourd'hui Placentia), devenue la capitale française de Terre-Neuve, pendant que St John's restait celle des Anglais. Le recensement de 1680, on le sait, révèle que 1 700 habitants vivaient alors sur la côte anglaise, soit entre Bonavista et Trepassey. Ces pêcheurs et commerçants étaient surtout originaire du sud-ouest de l'Angleterre et du sud-est de l'Irlande; ils parlaient un anglais régional ou l'irlandais (une langue celtique). Ils étaient autorisés à demeurer sur place, car les autorités britanniques craignaient que les Français ne s'approprient les meilleurs havres de pêche. Sans jamais encourager ni la colonisation ni l'immigration, le gouvernement britannique admettait qu'une petite population permanente et un certain droit à la propriété restaient néanmoins souhaitable.

Newfoundland

Mais le premier gouverneur de Sa Majesté britannique ne fut désigné qu'en 1729, soit seize ans après le traité d'Utrecht (1713), qui accordait l'île à la Grande-Bretagne. Vers 1790, la population de Terre-Neuve comptait 20 000 habitants, devenus presque tous anglophones, puis près de 40 000 en 1815. Le gouverneur anglais ne demeurera en permanence sur l'île qu'à partir de 1817. Comme le mercantilisme dictait la politique coloniale, les marchands britanniques réussiront pendant longtemps à empêcher l'établissement d'une colonie importante. Ainsi, ces marchands continuèrent de contrôler les ports et les havres de pêche, et l'île resta surtout une simple base navale fréquentée par les bateaux de pêches. Cela dit, la langue française ne disparut pas totalement, car la France conserva longtemps des droits de pêche saisonniers sur le « French Shore » et allait hériter, après 1763, du petit archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, qu'elle allait conserver comme base pour la pêche sur les Grands Bancs. 

Terre de Rupert et Compagnie de la Baie d'Hudson

Par la suite, le Canada de la Nouvelle-France disputa aux Anglais la maîtrise de la baie d'Hudson. En 1692, le gouverneur Frontenac ordonna à Pierre Le Moyne d'Iberville de patrouiller les côtes des colonies anglaises dans le but d'interrompre les communications entre l'Angleterre et ses colonies. Quelques années plus tard, après avoir pris Terre-Neuve (en 1696), d'Iberville entreprit la conquête de la baie d'Hudson. L'année suivante, le célèbre aventurier français avait capturé tous les forts de la Compagnie de la Baie d'Hudson sauf un, Fort Albany. L'établissement le plus important de la région, Fort York, fut renommé Fort Bourbon. Les Anglais durent attendre 16 ans avant de reprendre les autres forts. Chez les Français et les Canadiens, Pierre Le Moyne d'Iberville devint un véritable héros de légende, mais il était craint et détesté des Britanniques.

En 1697, le traité de Ryswick (aujourd'hui Rijswijk, ville hollandaise de la région de La Haye) mit fin à la guerre de la ligue d'Augsbourg entre Louis XIV et la Grande Alliance. Le traité confirma la puissance de la France en Amérique. Terre-Neuve redevint partiellement anglaise, mais l'Acadie et la baie d'Hudson furent rattachées à la Nouvelle-France en tant que colonies autonomes. Le traité précisait que le « fond de la baye » demeurait français et que le Fort York revenait à la Compagnie de la Baie d'Hudson; en réalité, les Anglais conservèrent Fort Albany tandis que les Français retinrent Fort Bourbon (Fort York). Le nom des forts (postes de traite) porteront alors des appellations françaises (Fort Bourbon, Fort Saint-Louis, Fort Saint-Jacques, Fort Sainte-Anne, Fort Neuve Savane, etc.).

Hudson Bay after 1697

Puis, en 1706, les Français dévastèrent presque tous les villages anglais de Terre-Neuve et en 1710 les forces de la Nouvelle-Angleterre s'emparèrent encore de l'Acadie. En 1711, l'amiral Hovenden Walker tenta d'attaquer la ville de Québec, mais sa flotte coula sur la côte nord du golfe Saint-Laurent. Bref, ces conflits presque perpétuels n'eurent que peu d'incidences linguistiques, sauf dans la toponymie et lorsque les populations étaient déportées, ce qui était fréquent tant de la part des Français que des Anglais. 

Rivalités franco-britanniques en Amérique du Nord

Dès le début du 17e siècle, la France et l'Angleterre possédaient des colonies en Amérique du Nord, dans les Antilles, en Afrique et dans les Indes. Des monopoles fort lucratifs entraient en jeu : il s'agissait notamment du sucre des Antilles, des esclaves d'Afrique, des soieries et épices des Indes, ainsi que des fourrures et du poisson (morue) de l'Amérique du Nord. Les hostilités commencèrent en 1628 dans le Nouveau Monde (en 1689 en Europe) et ne prirent fin qu'en 1761 et 1762 (mais 1815 en Europe). Bref, le conflit franco-britannique débuta en Europe au moment où l'Angleterre voulut mettre un frein aux visées expansionnistes de Louis XIV et ne se termina que par la défaite de Napoléon à Waterloo. Le conflit perdura en évoluant en une série de guerres maritimes, chacune des deux puissances européennes s'efforçant d'agrandir son empire aux dépens de l'autre. Ces conflits furent déterminants pour l'expansion des langues française et anglaise dans le monde.

The Pitt engaging the Saint Louis in 1758 by Lawson Dunn

Cette rivalité s'est étendue en Amérique du Nord parce que les deux nations étaient en contact sur des territoires contigus. Dès la fondation de la Nouvelle-France par Samuel de Champlain (1628-1629), la colonie française devint l'enjeu des rivalités coloniales entre l'Angleterre et la France. Tout comme en Europe, l'Amérique du Nord allait se transformer très tôt en champ de bataille. Mais, avant les batailles décisives, la Nouvelle-France connut ses petites guerres de tranchées où des parties de territoires changèrent de mains pour toujours revenir au point de départ. Il faut comprendre que ces échanges de territoires s'accompagnaient souvent de changements de dénominations françaises pour des anglaises (ou l'inverse). Au cours de leur histoire commune sur le continent, Français et Anglais débaptisèrent régulièrement les noms de lieu donnés par leurs prédécesseurs, surtout en Acadie et dans la baie d'Hudson, puis plus tard dans le « pays d'en haut », qui deviendra le Haut-Canada et  l'Ontario. Ainsi, ces guerres préparatoires n'eurent que des conséquences sur la toponymie, mais elles préparèrent l'issue finale : celle de la guerre de la Conquête. 

Les petites guerres (1628-1711)

Alors que la Canada faisait partie de la Nouvelle-France, il fut occupé par les Anglais entre 1629 et 1632 et l'Acadie, entre 1654 et 1667. Les colonies anglaises qui se développaient le long de l'océan Atlantique (Nouvelle-Angleterre) se sentaient cernées par la Nouvelle-France : d'abord par l'Acadie, puis par le Canada et par la Louisiane au moment de l'expansion française dans la vallée du Mississippi. Pour leur part, les Français se sentaient menacés au Canada qui restait coincé par la Terre de Rupert (ou Compagnie de la baie d'Hudson), laquelle dominait le nord du Canada, et les colonies de la Nouvelle-Angleterre au sud. Ainsi, pendant une bonne partie du 17e siècle, les terres canadiennes furent ainsi l'objet de conflits perpétuels entre Britanniques et Français, avec les nécessaires changements toponymiques que cela impliquait.

Acadia

'Acadie française, faut-il le répéter, suscita tôt la méfiance des Britanniques. Dès 1607, les Anglais prirent Port-Royal et détruisirent la petite ville. En 1613, des Britanniques arrivés de la Virginie détruisirent à nouveau les installations des Français dans la région de Port-Royal. En 1621, l'Angleterre revendiqua l'Acadie rebaptisée Nova Scotia (Nouvelle-Écosse) et, en 1628, l'Écossais William Alexander installa une garnison de 70 hommes à Port-Royal, qu'il rebaptisa Fort Charles. À la suite du traité de Suze de 1629 imposé par le cardinal de Richelieu, les Anglais furent forcés de quitter l'Acadie et Port-Royal, qui retrouvèrent leur nom original. Le traité de Saint-Germain-en-Laye (1632) reconnut la souveraineté française en Acadie.

Acadia circa 1635

Mais, en 1654, une flotte britannique de Boston s'empara à nouveau de Port-Royal. L'Angleterre déclara l'Acadie comme une « possession illégitime des Français » et entreprit donc sa reconquête. Le major Segewick attaqua encore l'Acadie. La menace anglaise demeura toujours omniprésente en Acadie, car jusqu'au traité de Breda de 1667, qui rétrocéda le territoire à la France (en échange d'îles dans les Antilles), l'Acadie, rappelons-le, était restée 32 ans française, contre 31 ans anglaise, avec tout ce que cela pouvait signifier dans l'appellation des toponymes maintes fois rebaptisés.

Canada

En 1628, alors que la France et l'Angleterre étaient en guerre, une flotte anglaise s'empara de Tadoussac, à ce moment un important poste de traite dans la vallée du Saint-Laurent. L'année suivante, Samuel de Champlain dut livrer Québec aux frères Louis et Thomas Kirke, qui chassèrent la plupart des colons français. La France ne récupéra sa colonie qu'en 1632. En 1690, les forces anglo-américaines tentèrent encore de se saisir de Québec, avec une flotte d'au moins 30 navires, mais sir William Phipps, qui avait sommé le gouverneur Frontenac de se rendre, s'est attiré cette réplique devenue célèbre : « Je n'ai point de réponse à faire à votre général que par la bouche de mes canons et à coups de fusils. » Quant à l'armée de terre qui s'avançait par le lac Champlain, elle dut renoncer parce qu'elle était affaiblie par la maladie et les dissensions. Mais la trêve devait être de courte durée. Cela signifiait aussi que la présence française en Amérique du Nord fut contestée très tôt.

Louis de Buade de Frontenac

À partir de ce moment de l'histoire canadienne, le terme de Canadiens désigna les descendants des colons français nés au Canada, par opposition aux Français de France; les Canadiens s'opposeront de plus en plus aux Français qu'ils appelleront souvent « les maudits Français ». En réalité, on distinguait les Canadiens, les Acadiens, les Français, les Indiens (communément appelés Sauvages) et les Anglais. Mais, pour leur part, les Anglais ne faisaient que deux distinctions : les Indiens et les Français.  Autrement dit, les Britanniques considéraient les Canadiens, les Acadiens et les Louisianais comme des Français. Pour les Français, les habitants de la Nouvelle-Angleterre, de l’Angleterre, de l’Écosse et du pays de Galles étaient des Britanniques, sinon des Anglais.

Terre-Neuve

Ainsi, la seconde colonisation anglaise commença en principe en 1610 à Terre-Neuve, plus précisément à l'Anse-à-Cuper (aujourd'hui Cupids). C'est l'explorateur anglais John Guy qui s'établit dans la baie de la Conception, au nord-ouest de la péninsule d'Avalon, avec une quarantaine de colons. Toutefois, des pêcheurs français, espagnols, portugais et anglais habitaient déjà l'île depuis près d'un siècle. John Guy agissait pour le compte de la Newfoundland Colonization Company, qui appartenait à sir Francis Bacon. La ville de St John's s'agrandit, la pêche augmenta et des marchands (surtout anglais) s'établirent le long du port. En 1638, sir David Kirke se fit concéder la partie anglaise de l'île de Terre-Neuve, mais cette occupation britannique fut contestée par les Français. L'autorité sur l'île n'était alors exercée que de façon saisonnière par ce qu'on appelait des « amiraux de pêche ». Une telle pratique ne favorisait guère la colonisation.

En 1662, les Français quittèrent St John's pour s'installer à Plaisance (aujourd'hui Placentia), devenue la capitale française de Terre-Neuve, pendant que St John's restait celle des Anglais. Le recensement de 1680, on le sait, révèle que 1 700 habitants vivaient alors sur la côte anglaise, soit entre Bonavista et Trepassey. Ces pêcheurs et commerçants étaient surtout originaire du sud-ouest de l'Angleterre et du sud-est de l'Irlande; ils parlaient un anglais régional ou l'irlandais (une langue celtique). Ils étaient autorisés à demeurer sur place, car les autorités britanniques craignaient que les Français ne s'approprient les meilleurs havres de pêche. Sans jamais encourager ni la colonisation ni l'immigration, le gouvernement britannique admettait qu'une petite population permanente et un certain droit à la propriété restaient néanmoins souhaitable.

Newfoundland 1680

Mais le premier gouverneur de Sa Majesté britannique ne fut désigné qu'en 1729, soit seize ans après le traité d'Utrecht (1713), qui accordait l'île à la Grande-Bretagne. Vers 1790, la population de Terre-Neuve comptait 20 000 habitants, devenus presque tous anglophones, puis près de 40 000 en 1815. Le gouverneur anglais ne demeurera en permanence sur l'île qu'à partir de 1817. Comme le mercantilisme dictait la politique coloniale, les marchands britanniques réussiront pendant longtemps à empêcher l'établissement d'une colonie importante. Ainsi, ces marchands continuèrent de contrôler les ports et les havres de pêche, et l'île resta surtout une simple base navale fréquentée par les bateaux de pêches. Cela dit, la langue française ne disparut pas totalement, car la France conserva longtemps des droits de pêche saisonniers sur le « French Shore » et allait hériter, après 1763, du petit archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, qu'elle allait conserver comme base pour la pêche sur les Grands Bancs. 

Baie d'Hudson

Par la suite, le Canada de la Nouvelle-France disputa aux Anglais la maîtrise de la baie d'Hudson. En 1692, le gouverneur Frontenac ordonna à Pierre Le Moyne d'Iberville de patrouiller les côtes des colonies anglaises dans le but d'interrompre les communications entre l'Angleterre et ses colonies. Quelques années plus tard, après avoir pris Terre-Neuve (en 1696), d'Iberville entreprit la conquête de la baie d'Hudson. L'année suivante, le célèbre aventurier français avait capturé tous les forts de la Compagnie de la Baie d'Hudson sauf un, Fort Albany. L'établissement le plus important de la région, Fort York, fut renommé Fort Bourbon. Les Anglais durent attendre 16 ans avant de reprendre les autres forts. Chez les Français et les Canadiens, Pierre Le Moyne d'Iberville devint un véritable héros de légende, mais il était craint et détesté des Britanniques.

The Hudson Bay after 1697

En 1697, le traité de Ryswick (aujourd'hui Rijswijk, ville hollandaise de la région de La Haye) mit fin à la guerre de la ligue d'Augsbourg entre Louis XIV et la Grande Alliance. Le traité confirma la puissance de la France en Amérique. Terre-Neuve redevint partiellement anglaise, mais l'Acadie et la baie d'Hudson furent rattachées à la Nouvelle-France en tant que colonies autonomes. Le traité précisait que le « fond de la baye » demeurait français et que le Fort York revenait à la Compagnie de la Baie d'Hudson; en réalité, les Anglais conservèrent Fort Albany tandis que les Français retinrent Fort Bourbon (Fort York). Le nom des forts (postes de traite) porteront alors des appellations françaises (Fort Bourbon, Fort Saint-Louis, Fort Saint-Jacques, Fort Sainte-Anne, Fort Neuve Savane, etc.).

Puis, en 1706, les Français dévastèrent presque tous les villages anglais de Terre-Neuve et en 1710 les forces de la Nouvelle-Angleterre s'emparèrent encore de l'Acadie. En 1711, l'amiral Hovenden Walker tenta d'attaquer la ville de Québec, mais sa flotte coula sur la côte nord du golfe Saint-Laurent. Bref, ces conflits presque perpétuels n'eurent que peu d'incidences linguistiques, sauf dans la toponymie et lorsque les populations étaient déportées, ce qui était fréquent tant de la part des Français que des Anglais. 

Traité d'Utrecht de 1713

Le traité d'Utrecht (Pays-Bas) mettait un terme à la guerre de Succession d'Espagne (1701-1714), qui opposa de 1701 à 1714 la Grande Alliance, composée à l'origine de l'Angleterre, des Provinces-Unies, du Saint Empire romain germanique, rejoints plus tard par le Portugal et la Savoie, à une coalition regroupant la France, l'Espagne et certaines principautés italiennes et allemandes. Pour obtenir la paix, Louis XIV dut sacrifier des colonies. Les accords conclus avantageaient principalement l'Angleterre devenue officiellement, depuis 1701, la Grande-Bretagne. Celle-ci recevait les territoires nord-américains de Terre-Neuve (incluant l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon), de l'Acadie, de la baie d'Hudson, ainsi que l'île de Saint-Christophe (aujourd'hui Saint-Kitts-et-Nevis) aux Antilles. La France alla jusqu'à reconnaître que la Grande-Bretagne avait un droit sur le territoire de la Confédération iroquoise, ce qui offusqua les Iroquois, car ils estimaient que les deux grandes puissances n'avaient pas à décider de leur sort à leur place. Il n'en demeure pas moins que la carte de l'Amérique du Nord venait de changer considérablement. 

In short, the Treaty of Utrecht struck a hard blow to France in North America, although the country was paid some restitution for its loss. Newfoundland was ceded to the British, but French fishermen retained the right to fish and dry their catch on the north shore of the island, between Cape Bonavista and Pointe Riche (the "Petit Nord"), which became known as the "French Shore" and the "Treaty Coast." Although France was forced to give up continental Acadia (Nova Scotia), it was able to hold on to Cape Breton Island, which it renamed Île Royale, and St. John's Island (Prince Edward Island). France decided to found a new colony on Cape Breton Island and build the mighty Fortress of Louisbourg.Mais une partie de l'Acadie continentale, l'actuel Nouveau-Brunswick, resta un « territoire disputé » entre les Britanniques et les Français. La Grande-Bretagne soutenait, d'après l'article 12 du traité d'Utrecht, que ce territoire était inclus dans « l'Acadie conformément à ses anciennes limites ». La France refusait une telle interprétation du traité! Voici ce que stipulait cet article 12 : « Le roi très chrétien devra livrer à la reine de la Grande-Bretagne la Nouvelle-Écosse ou l'Acadie entière, comprise dans ses anciennes limites, et aussi la cité de Port-Royal, maintenant Annapolis Royal [...] et ensemble tout ce qui dépend des dites terres et îles de ce pays. »

New France, British colonies, Disputed area, New Spain

Par ailleurs, l'article 14 du traité d'Utrecht précisait au sujet des Acadiens : « Les sujets dudit roi auront la liberté de se retirer ailleurs dans l'espace d'un an, en emportant leurs effets mobiliers [...]. Ceux qui voudront être sujets du roi d'Angleterre jouiront du libre exercice de leur religion selon l'usage de l'Église romaine, autant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne. » Les Britanniques se montrèrent conciliants à l'égard de la population locale tant qu'ils ne purent peupler l'Acadie de colons anglais.

Par la suite, la forteresse de Louisbourg devint la nouvelle capitale de l'Acadie française, tandis que Annapolis Royal (le nom de Port-Royal étant définitivement disparu) devint celle de la Nouvelle-Écosse (dite aussi « l'Acadie anglaise » par les Canadiens), avant la ville d'Halifax (en 1749). À partir de ce moment, l'Acadie française se développa de façon encore plus autonome du Canada. Contrairement à la vallée du Saint-Laurent essentiellement agricole, l'île Royale devint fortement commerçante et tourna ses activités vers la Nouvelle-Angleterre, malgré la tolérance réticente des autorités françaises. L'île Royale, fort prospère, compta bientôt quelque 5000 habitants d'origine française.

Sous domination anglaise, les Acadiens de la Nouvelle-Écosse poursuivirent leurs activités dans une paix relative, sans beaucoup de colons anglais pour les déranger. L'île de Terre-Neuve se repeupla de colons anglais, venus principalement de l'ouest de l'Angleterre, mais des Irlandais de religion catholique commencèrent à y instaurer les traditions de l'Irlande. Enfin, les forts de la baie d'Hudson capturés par les Français redevinrent anglais. Au cours des différents conflits franco-britanniques, plusieurs des forts changèrent de noms : Fort Bourbon > Fort Nelson puis York Factory, Fort Saint-Louis > Moose Factory, Fort Saint-Jacques > Fort Charles puis Fort Rupert, Fort Sainte-Anne > Fort Albany, Fort Neuve Savane > New Severn, puis Fort Severn et Albany. En somme, le traité d'Utrecht de 1713 préfigurait le traité de Paris de 1763 et entamait le recul du français en Amérique du Nord.

La drôle de paix provisoire

La guerre de la Conquête (1756-1760) coïncida avec la guerre de Sept Ans (1756-1763) en Europe et elle allait marquer la fin de la présence française sur le continent nord-américain. Malgré la paix apportée par le traité d'Utrecht de 1713, les rivalités anglo-françaises devaient inévitablement reprendre. Même en temps de paix, la seule existence de Louisbourg suffisait à irriter les colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre, surtout le Massachusetts. Les commerçants de la Nouvelle-Angleterre voulaient bien faire des affaires avec Louisbourg, mais n'acceptaient pas la présence française sur un territoire qu'ils considéraient comme leur arrière-pays. Les conflits reprirent en raison de la guerre de la Succession d'Autriche de 1740.

En 1744, la Nouvelle-Angleterre en profita pour lancer ses troupes (4 000 hommes) contre l'île Royale et la forteresse de Louisbourg. En juin 1745, Louisbourg capitulait et les habitants de l'île (sauf une centaine qui avaient fui dans les bois) furent déportés en toute hâte en France. Puis le traité d'Aix-la-Chapelle de 1748 rendit l'île Royale à la France. Les Français revinrent et poursuivirent leur fructueux commerce. La garnison de Louisbourg compta bientôt 600 soldats et 88 officiers, ce qui en faisait l'une des plus fortes places qu'aient établies les Européens en Amérique du Nord. Le français régnait en maître, bien qu'une partie de la garnison soit formée de mercenaires suisses et allemands. On parlait donc français et allemand à Louisbourg.

The colony of Louisbourg 1744/ The port and fortress of Louidbourg in 1744

Pour contrebalancer la restitution de Louisbourg à la France, la Grande-Bretagne entreprit de son côté d'assurer la sécurité de sa colonie de la Nouvelle-Écosse. En 1749, deux régiments et 2 500 colons fondèrent la ville de Halifax, nouvelle capitale de la Nouvelle-Écosse, avec comme gouverneur Edward Cornwallis. La ville d'Annapolis Royal avait été jugée trop faible et trop mal située pour aller à l'encontre des Français à Louisbourg. En fait, Edward Cornwallis espérait que, en introduisant plus de colons anglais dans la région, les Acadiens seraient assimilés. Toutefois, la plupart des colons venaient des quartiers pauvres des villes anglaises et éprouvèrent des réticences à participer activement à cette entreprise d'intégration. Afin d'augmenter la population sur le territoire, la Grande-Bretagne fit venir plus de 1 500 « protestants étrangers », c'est-à-dire des Allemands et des Suisses. Mais la langue et la religion (le luthéranisme) déplurent aux anglophones anglicans. En 1753, le colonel Charles Lawrence fit déporter la colonie allemande de Halifax à Mirliguesch (ou Milky Bay), qui devint Lunenburg; les immigrants allemands ne se mêlèrent pas aux Acadiens et conservèrent leur langue pendant longtemps. Puis la Nouvelle-Écosse poursuivit sa croissance avec l'arrivée de colons de la Nouvelle-Angleterre. L'anglais, l'écossais, le français et l'allemand constituaient alors les langues les plus couramment utilisées en Nouvelle-Écosse. En même temps, la France installa à Louisbourg une garnison plus importante et fortifia la côte sud de l'île Royale.

Dès la cession de Terre-Neuve à la Grande-Bretagne, les pêcheurs anglais avaient hérité des installations des Français et l'île vit arriver de nombreux colons venus du sud-ouest de l'Angleterre; à partir de 1720, d'autres immigrants vinrent en grand nombre du sud-est de l'Irlande. De majoritairement française, Terre-Neuve devint très majoritairement anglo-irlandaise, y compris l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Mais à Terre-Neuve la rivalité entre la France et la Grande-Bretagne n'était pas terminée; elle continua dans le commerce de la morue avec les pêcheurs français. Il devenait évident que seules des opérations militaires dans les eaux terre-neuviennes pourraient mettre fin à la rivalité dans une industrie qui était encore plus rentable que la traite des fourrures.

Pendant que ces conflits se préparaient, la France renforçait considérablement le Canada. Les effectifs des Compagnies franches de la marine furent doublés, les garnisons augmentées, mais en même temps les dépenses de la colonie montèrent en flèche. Pendant ce temps, la vallée de l'Ohio devint l'objet de litige entre le Canada et deux colonies anglaises, la Pennsylvanie et la Virginie, alors voisines à l'est du Canada. D'une part, les Français considéraient l'Ohio comme un lien vital entre le Canada et La Louisiane, ce qui assurait les communications entre les deux colonies françaises. D'autre part, les colons de la Pennsylvanie et de la Virginie tentaient de s'étendre vers l'ouest, mais se heurtaient aux prétentions françaises dans la vallée de l'Ohio. Les Français dressèrent des forts et s'assurèrent l'alliance des Amérindiens, même des Iroquois. Les escarmouches entre Français et milices américaines s'accentuèrent. Le conflit entre La France et la Nouvelle-Angleterre à propos des vastes territoires qui longent l'Ohio, entre les Appalaches et le Mississippi, connaîtra son apogée vers 1750.

Soldiers of the Compagnies franches de la Marine

Déportation des Acadiens

En Nouvelle-Écosse, le colonel Charles Lawrence, gouverneur en exercice, considérait que sa colonie était menacée, d'une part, par les forces françaises à l'est (la forteresse de Louisbourg) et au nord (le Canada), d'autre part, à l'intérieur de ses propres frontières par les Acadiens et les Micmacs demeurés leurs alliés. En 1755, Lawrence avait demandé aux Acadiens de prêter un serment d'allégeance inconditionnel à la Couronne d'Angleterre. Devant la neutralité affichée des Acadiens, il considéra la déportation comme une précaution nécessaire destinée à écarter de sa colonie des éléments qui pourraient éventuellement lui manquer de loyauté.

Pris entre l'arbre et l'écorce, les Acadiens étaient considérés comme des traîtres autant par les Anglais que par les Français. De plus, les Acadiens occupaient les meilleures terres agricoles, alors que des milliers de colons britanniques étaient prêts à se porter volontaires pour venir habiter en Nouvelle-Écosse. Pour les autorités coloniales, cela faisait quarante ans qu'elles demandaient, sans succès, aux Acadiens de jurer allégeance ou fidélité; elles étaient maintenant à bout de patience. Il n'est pas surprenant que, dans ces conditions, il se soit développé un grand sentiment d'amertume envers les Acadiens catholiques et leurs alliés autochtones, et ce, à travers toute la colonie de la Nouvelle-Écosse. Ces raisons parurent bien suffisantes pour justifier la déportation de ces Acadiens réputés insoumis, une déportation que le gouverneur Lawrence, le colonel Monckton et le lieutenant-colonel Winslow préparaient en secret, sans même consulter le gouvernement britannique, de peur que les habitants s'enfuient avec leur bétail en Acadie française ou au Canada, détruisent leurs récoltes ou incendient leurs fermes.

Charles Lawrence, William Shirley, John Winslow

Le 3 septembre 1755, le lieutenant-colonel John Winslow convoqua les Acadiens de Grand-Pré et leur lut la proclamation suivante dans l'église Saint-Charles-des-Mines (à Grand-Pré) :

J'ai reçu de Son Excellence le gouverneur Lawrence, les instructions du roi. C'est par ses ordres que vous êtes assemblés pour entendre la résolution finale de Sa Majesté concernant les habitants français de cette province de la Nouvelle-Écosse qui, durant un demi-siècle, ont reçu plus d'indulgences que tous autres sujets britanniques du Dominion de sa Majesté. De quel usage vous en avez fait, vous seuls le savez.

Le devoir qui m'incombe, quoique nécessaire, est très désagréable à ma nature et à mon caractère, de même qu'il doit vous être pénible à vous qui avez la même nature.

Mais  ce n'est pas à moi de critiquer les ordres que je reçois, mais de m'y conformer. Je vous communiquer donc, sans hésitation, les ordres et instructions de Sa Majesté, à savoir que toutes...

Vos terres, vos maisons, votre bétail et vos troupeaux de toutes sortes sont confisqués au profit de la couronne, avec tous vos autres effets, excepté votre argent et vos mobiliers, et que vous-mêmes vous devez être transportés hors de cette province.

Les ordres péremptoires de Sa Majesté sont que tous les habitants de ces districts soient déportés, et selon la bonté de Sa Majesté vous permettant la liberté d'apporter tout argent et choses personnelles que vous pourrez transporter sans incommoder les navires sur lesquels vous serez déportés. Je ferais l'impossible pour assurer la sécurité de vos biens et pour vous protéger contre toute acte de brutalité durant leur transport et que des familles entières soient transportées ensemble sur le même vaisseau. Je suis assuré que malgré votre grand malaise durant cet avènement, nous souhaitons que la partie du monde où vous serez, vous demeurez des sujets fidèles à sa majesté tout en étant un peuple heureux et paisible.

Je me dois de vous aviser que le plaisir de Sa Majesté désire vous garder en sécurité sous l'inspection et la direction des troupes de soldats que j'ai l'honneur de commander.

La déportation, que les Acadiens appelèrent le « Grand Dérangement », se fit avec une surprenante rapidité. Non seulement Charles Lawrence mobilisa toutes les troupes (315 miliciens) que la Grande-Bretagne avait réunies dans la colonie, mais il avait obtenu l'appui du gouverneur William Shirley du Massachusetts de convaincre la Cour générale de la colonie d'envoyer 2000 volontaires pour chasser les Acadiens et les Français de la Nouvelle-Écosse. Puis, il mobilisa une flotte de navires marchands (16 bateaux réquisitionnés en Nouvelle-Angleterre) et fit vider la population acadienne, village après village, à Grand-Pré, aux Mines, à Beaubassin, autour de la baie Française (baie de Fundy), etc.

Avant la fin de 1755, plus de 7 000 Acadiens étaient déjà partis en exil; des milliers d'autres suivront dans les années suivantes. Sur une population d'environ 13 500 Acadiens, on estime que plus de 12 600 furent déportés, mais plus de 4 000 d'entre eux moururent de maladies contagieuses. D'autres réussiront à atteindre le Canada ou l'Acadie demeurée française (la Gaspésie, l'île Royale ou l'île Saint-Jean). Comme on peut le constater au tableau ci-dessous, c'est en France que les Acadiens déportés furent les plus nombreux (3500), puis le Canada (2000), le Massachusetts (1043) et le Connecticut (666).

Place

Population

Connecticut

666

New-York

249

Maryland

810

Pennsylvanie

383

Caroline du Sud

280

Géorgie

185

Massachusetts

1043

Rivière Saint-Jean

86

Île Saint-Jean

300

Baie des Chaleurs

700

Nouvelle-Écosse

1249

Vallée du Saint-Laurent (Canada)

2000

Angleterre

866

France

3500

Louisiane

300

TOTAL

12 617

Source : R.A. LEBLANC. « Les migrations acadiennes », dans  Cahiers de géographie du Québec vol. 23, no 58, avril 1979, p. 99-124.

Cette opération de bannissement s'étendit jusqu'en 1762. Les Britanniques estimaient que, une fois dispersés, les Acadiens ne représenteraient plus une menace et s'assimileraient aux populations locales. On qualifierait aujourd'hui ce genre d'opération d'« épuration ethnique ». Du côté linguistique, il s'agit d'une opération radicale, car en faisant disparaître les gens on fait disparaître la langue de ces locuteurs ! Français et Britanniques se sont fait le coup à quelques reprises dans le petit archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. En effet, de 1690 à 1814, l'archipel fut pris et repris neuf fois alternativement par les Français et les Britanniques, et, à quatre reprises, il fut totalement dévasté et tous les habitants déportés : un véritable chassé-croisés de déportés, de maisons et de terres brûlées durant 125 années ! La différence, c'est que la déportation acadienne fut organisée à une plus grande échelle et sans l'autorisation du gouvernement britannique qui, après coup, cautionna quand même l'opération. Rappelons qu'à Louisbourg les Anglais avaient déporté en 1745 vers la France toute la colonie française (4 000 personnes) après la capitulation, mais les Français revinrent en 1748.

Par la suite, le coeur de l'Acadie se déplaça vers l'ouest, puis vers la Louisiane devenue espagnole en 1762. Pendant des années, les colonies de Nouvelle-Angleterre se plaindront auprès de Londres de l'arrivée de ces milliers d'Acadiens démunis — et parlant français — que les colons américains seront obligés de loger et de nourrir, sans compensations de la part du gouvernement britannique. À Londres, une enquête sera même instituée pour éclaircir les circonstances entourant la déportation, car des accusations furent portées contre Charles Lawrence qui aurait vendu à l'armée des vivres confisquées au nom du roi et aurait exercé, à des fins personnelles, un certain contrôle sur la distribution des terres aux nouveaux colons arrivant en Nouvelle-Écosse. Mais les accusations n'eurent pas le temps d'aboutir en cour, Lawrence étant décédé en 1760. En somme, la déportation constituait une mesure radicale pour modifier les rapports de force entre des populations différentes. Le vide laissé par les Acadiens allait être vite rempli par les colons anglophones. 

Population de 1760

Juste avant la Conquête, on comptait environ 75 000 colons français et 20 000 colons britanniques sur le territoire actuel du Canada, ce qui exclut les 200 000 autochtones, bien plus nombreux. Les colons français se partageaient entre environ 5 000 Acadiens qui restaient après la déportation et 70 000 Canadiens de la vallée du Saint-Laurent (dont 2 000 dans le « pays d'en haut »). Pour les Britanniques, il fallait dénombrer environ 10 000 dans l'île de Terre-Neuve et autant en Nouvelle-Écosse. En Nouvelle-Angleterre, la population se chiffrait à 1,6 million de personnes. Autrement dit, pendant que la Nouvelle-France s'était peuplée en moyenne de 56 immigrants annuels entre 1608 et 1760, la Nouvelle-Angleterre avait pu compter sur un millier par année. Si la France avait peuplé ses colonies (Canada, Acadie et Louisiane) avec autant de vigueur que la Grande-Bretagne, l'Amérique du Nord serait sans doute partagée bien autrement aujourd'hui entre un Canada resté français et une Louisiane française comprenant la moitié des États-Unis actuels. Il a suffi que l'un des deux pays envoie, chaque année, pendant un siècle et demi, un millier de colons, l'autre moins d'une soixantaine, pour que le cours de l'histoire soit radicalement modifié. C'est d'ailleurs cette inégalité démographique qui explique davantage la défaite française de 1760 et la domination écrasante de la langue anglaise aujourd'hui.

Conquête britannique ou guerre de Sept Ans (1756-1763)

Au printemps de 1756, commença la guerre de Sept Ans (1756-1763) en Europe. Cette guerre impliquait la plupart des grandes puissances européennes de l'époque : d'une part, la Prusse, la Grande-Bretagne et le Hanovre, d'autre part, l'Autriche, la Saxe, la France, la Russie, la Suède et l'Espagne. Le conflit aux Indes opposait la France à la Grande-Bretagne, alors que celui en Amérique du Nord opposait la Couronne anglaise et ses colonies de la Nouvelle-Angleterre aux Français et à leurs alliés amérindiens. En Amérique du Nord, ce fut davantage la guerre de la Conquête, mais elle coïncidait avec la guerre de Sept Ans et se termina en 1760, soit trois ans avant la guerre en Europe.

Cette guerre, qui aura des conséquences déterminantes pour les langues en présence en Amérique du Nord, porte plusieurs noms. En français, on parle surtout de guerre de la Conquête (War of the Conquest, mais aussi de la guerre de Sept Ans (Seven Years' War); en anglais, on utilise fréquemment les appellations French and Indian War (« guerre contre les Français et les Indiens » ou « Guerre franco-indienne »), Seven Years' War (« guerre de Sept Ans » ), puis War for Empire (« guerre pour l'Empire ») ou encore British Conquest (« Conquête britannique »). Certains historiens parlent aussi d'une sorte de « Première Guerre mondiale », car le conflit couvrait le monde entier, de l'Europe aux Indes, des Antilles aux Philippines et de l'Amérique du Nord à l'Asie. Mais de tous les noms, c'est celui en anglais de French and Indian War, qui semble le plus significatif, car il illustre l'imbrication des alliances franco-indiennes dans cette guerre finale. Au Canada français, on emploie le plus souvent le seul mot Conquête; lorsqu'on parle de la Conquête, c'est nécessairement celle de 1760 ! 

Les personnalités en cause

En ce qui a trait à l'Amérique, quatre personnalités furent projetés à l'avant-scène : un Canadien (le marquis Pierre de Rigaud de Vaudreuil), un Français (le marquis Louis-Joseph de Montcalm) et deux Britanniques (William Pitt et James Wolfe). En 1755, le marquis de Vaudreuil était le premier gouverneur canadien du Canada; il connaissait ses troupes entraînées à la petite guerre nord-américaine et avait comme priorité le Canada, non la France. Montcalm était un général français d'une armée de métier et n'appréciait guère d'être soumis à un « colonial » (Vaudreuil). Pour lui, le Canada était un champ de bataille, français comme n'importe quel autre, et ne tenait pas à sauver la colonie à tout prix; il écrivait même en 1757 que le Canada ne serait « pas une perte irréparable », en autant que la France pouvait sauver ses pêcheries de Terre-Neuve. Au plan stratégique, les soldats français privilégiaient une confrontation à terrain à découvert, alors que les Canadiens et les Amérindiens préféraient les combats dans la forêt avec des embuscades.

 Louis-Joseph de Montcalm, Pierre de Rigaud de Vaudreuil, William Pitt, James Wolfe

Quant à William Pitt (dit « le Premier Pitt »), devenu premier ministre de la Grande-Bretagne en 1757, il s'était fermement engagé à faire la guerre à la France dans ses colonies plutôt qu'en Europe : pour lui, la guerre se gagnerait ou se perdrait en Amérique. La première phase de son plan consistait à prendre Louisbourg, la forteresse française qui défendait l'entrée du Saint-Laurent. Le premier ministre savait aussi que la conquête du Canada allait coûter cher en vaisseaux, en armements et en troupes. Il fallait emprunter des sommes considérables (plusieurs centaines de millions) à l'étranger. Enfin, James Wolfe était un jeune général de brigade déterminé qui avait participé activement à la prise de Louisbourg et collaboré à la prise de l'île Saint-Jean (île-du-Prince-Édouard) et le saccage des terres et fermes de ces régions. Lors de son départ d'Angleterre, il avait annoncé ses couleurs : « J'aurais plaisir, je l'avoue, à voir la vermine canadienne saccagée, pillée et justement rétribuée de ses cruautés inouïes ». Satisfait des exploits antérieurs de Wolfe, William Pitt l'avait choisi, avec le grade de général, pour lui accorder le commandement des forces terrestres britanniques dans l'expédition contre Québec.

On peut ajouter aussi les personnalités américaines que furent George Washington et Benjamin Franklin. À la veille de la Conquête, Benjamin Franklin (1706-1790), éditeur de la Pennsylvania Gazette, alimentait la soif d'expansion des colonies de la Nouvelle-Angleterre. Il rêvait d'une Amérique anglaise, blanche et protestante. De façon générale, les politiciens, les marchands et les spéculateurs adhérèrent aux idées de Franklin, mais lorgnaient surtout vers les terres de la vallée de l'Ohio. En 1751, dans un essai intitulé Observations Concerning the Increase of Mankind, Peopling of Countries, Benjamin Franklin écrivit : « Admettons que ce million double tous les vingt-cinq ans, dans un siècle, ce pays sera plus populeux que l'Angleterre, et la majorité des Anglais vivront de ce côté de l'Atlantique. » Pour lui, il fallait que les Français soient éliminés de la future Amérique anglaise :

La population française [...] incitera les Indiens à nous harceler sur nos frontières, en temps de paix ou de guerre [...] ils tueront et scalperont nos compatriotes et chasseront les colons; ils décourageront nos concitoyens de se marier et la population cessera d'augmenter; de sorte que (si je peux m'exprimer ainsi) ils tueront des milliers de nos enfants avant qu'ils naissent.

Benjamin Franklin prêcha la guerre : « La sécurité de toutes les colonies anglaises d'Amérique du Nord, leur existence même en tant que colonies anglaises, rendent ces mesures absolument nécessaires, et ceci, immédiatement. » Quant à George Washington, il s'impliqua très tôt dans la guerre contre la Nouvelle-France dans la vallée de l'Ohio. En 1754, la bataille de Fort Necessity constitua le premier événement important dans la carrière militaire de George Washington et fut sa seule et unique capitulation à l'ennemi, mais cette bataille déclencha la guerre entre la France et la Grande-Bretagne pour le contrôle de l'Amérique du Nord. C'est Washington qui sera proclamé vainqueur lors de la guerre qui précédera la Révolution américaine.

Grande-Bretagne, maîtresse des mers

La maîtrise de la Grande-Bretagne sur les mers lui permettait de dépêcher des troupes et de l'équipement en des quantités beaucoup plus grandes que la France. Ainsi, plus de 20 000 hommes (sur 140 000) servaient en Amérique du Nord, sans compter les forces coloniales tout aussi nombreuses, soit 12 000 soldats réguliers et 21 000 provinciaux. La France ne disposait au Canada que de 6800 soldats réguliers et environ 15 000 miliciens canadiens, et comptait au maximum sur l'appui de ses alliés amérindiens; à Louisbourg, les forces britanniques pouvaient aligner 28 000 hommes contre 6 000 chez les Français (aidés de 500 Indiens). La partie était forcément inégale.

Le gouverneur Vaudreuil envoya plusieurs émissaires à Paris pour demander des renforts, des munitions et des vivres, mais le ministre de la Marine, Nicolas-René Berryer, lui avait alors répondu : « Qu'on ne cherche point à sauver les écuries quand le feu est à la maison ». Louis-Antoine de Bougainville, l'aide de camp de Montcalm, aurait répliqué au ministre : « On ne dira pas, du moins, que vous parlez comme un cheval ». Les défaites, l'inaction de la France et surtout la famine poussèrent de plus en plus de Canadiens à souhaiter une victoire anglaise.

Chute de l'empire français

Pour vaincre les Français en Amérique, le gouvernement britannique avait prévu combattre sur plusieurs fronts : la vallée de l'Ohio, Louisbourg et Québec.

La vallée de l'Ohio

En Amérique du Nord, la guerre de la Conquête commença dans la vallée de l'Ohio, car la France et la Grande-Bretagne, rappelons-le, revendiquaient le même territoire. En 1750, les Français avaient décidé de renforcer leurs dispositifs vers le sud et vers l'ouest à partir du Fort Niagara sur le lac Ontario. Le gouverneur du Canada avaient envoyé des détachements de troupes coloniales, les Compagnies franches de la Marine. Les Français chassèrent les marchands de la Nouvelle-Angleterre de la région.

En 1753, le gouverneur de la Virginie (Robert Dinwiddie) envoya une expédition sous le commandement du colonel George Washington pour expulser les Français du Fort Presque-Isle (près du lac Erié) et du Fort Le Boeuf (région de l'Ohio revendiquée par la Virginie). Mais les Français défirent les troupes de Washington, qui furent forcées de se rendre, et brûlèrent Fort Necessity (Nécessité) avant de retourner à Fort Duquesne. Les Anglais furent renvoyés en Virginie, mais les Indiens massacrèrent des centaines de prisonniers, en particulier des femmes et des enfants. La défaite anglo-américaine créa beaucoup d'émoi en Nouvelle-Angleterre et amplifia l'agressivité des Anglais envers le Canada et les Français. L'année suivante (1755), 250 miliciens canadiens et 600 Amérindiens réussirent à vaincre l'armée d'Edward Braddock, qui comptait 1 500 hommes. Les autorités coloniales de la Nouvelle-Angleterre finirent par offrir une somme de 50 livres de récompense à quiconque rapporterait le scalp d'un Français (ou d'un Canadien) ou d'un Indien allié aux Français.

Après la bataille de Fort Necessity (1754), les Français croyaient que les Britanniques ne contesteraient plus leurs revendications territoriales sur la vallée de l'Ohio, mais, au contraire, la Grande-Bretagne refusa d'accepter le résultat défavorable de cette bataille et se prépara à lancer des expéditions contre les bastions français : Fort Duquesne (qui deviendra Fort Pittsburg) en Ohio, Fort Niagara au lac Ontario, Fort Saint-Frédéric (à Crown Point) au lac Champlain et Fort Beauséjour en Acadie. Il n'en demeure pas moins que l'affrontement de Fort Necessity en 1754 fit partie des évènements qui amenèrent la Grande-Bretagne à déclarer la guerre à la France en 1756, plus précisément la guerre pour le contrôle de l'Amérique du Nord. Quatre ans plus tard, en avril 1758, les Français perdirent Fort Frontenac et Fort Duquesne (Canada). Niagara fut enlevé le 25 juillet 1759 par des troupes anglo-américaines soutenues par des guerriers des Six Nations iroquoises, une perte catastrophique pour les Canadiens et les Français.

A map showcasing French and British territory and the location of significant battles in New France.

Louisbourg

Le 27 juillet 1759, ce fut au tour de Louisbourg  de tomber après deux mois de siège. Ce fut le plus grand débarquement naval n’ayant jamais eu lieu en Amérique du Nord, l'opération ayant été sous le commandement du jeune brigadier James Wolfe. La population française de l'île Royale (aujourd'hui le Cap-Breton) passa subitement de 2 500 à 700; les deux tiers (68 %) furent déportés en France (à La Rochelle), alors que les autres restèrent dans l'île ou se réfugièrent à l'île Saint-Jean (aujourd'hui l'île du prince-Édouard). Deux ans plus tard, le Secrétariat d'État britannique ordonnera le démantèlement de la forteresse, symbole de l'ambition coloniale de la France en Amérique du Nord. À l'île Saint-Jean, quelque 2 000 Acadiens, sur une population de 5 000, furent déportés en France, tandis que les autres purent s'enfuir dans les bois.

Québec

Au Canada, le marquis de Montcalm s'engagea dans la guerre avec quelques succès, notamment lors de la victoire de Carillon (1758). L'année suivante, le général Wolfe assiégea Québec après avoir dévasé toute la campagne environnante, au moins 100 km en aval de Québec, sans parler auparavant de tous les établissements acadiens de la région de la rivière Saint-Jean (Nouveau-Brunswick). Puis Montcalm subit de graves défaites, dont celle de la bataille des Plaines d'Abraham (1759) devant Québec, où il trouva la mort en même temps que son vainqueur, le général James Wolfe considéré depuis comme un héros par les Britanniques. Au moment du siège de Québec, le général Montcalm pouvait compter sur une force militaire totale de 15 000 hommes, contre les 8 500 du général Wolfe. Lorsque l'armée britannique prit position, le matin du 13 septembre 1759, sur les plaines d'Abraham, elle ne disposait que de 4 800 hommes à aligner contre l'armée de 4 500 hommes de Montcalm, dont 2 500 miliciens canadiens. Pressé d'en découdre tout autant que Wolfe, Montcalm n'attendit pas de pouvoir utiliser le maximum de ses forces et exigea des miliciens canadiens de se battre comme les troupes régulières françaises. En moins de vingt minutes, l'armée de Montcalm était en déroute. Selon les historiens, la défaite française sur les plaines d'Abraham ne peut pas être attribuée à la faiblesse des troupes franco-canadiennes, mais à une erreur de jugement du général Montcalm qui aurait pu battre les Britanniques s'il avait eu la patience d'attendre deux ou trois heures les renforts de Bougainville et de Vaudreuil. Certains historiens ont appelé cette journée du 13 septembre « la journée des Fautes » : Wolfe avait joué le tout pour le tout et était prêt à sacrifier son armée en se présentant devant une armée éventuellement plus nombreuse, mais il eut affaire à un général adverse encore plus maladroit que lui.

Évidemment, on peut affirmer que le 13 septembre 1759 constitue une date marquante pour le Canada et une journée qui changea le cours de l'histoire sur le continent nord-américain. Les efforts du successeur de Montcalm, le chevalier de Lévis, et du gouverneur Vaudreuil ne purent éviter à Montréal de capituler. Désireux d'éviter un massacre des habitants, le gouverneur Vaudreuil se résolut à signer, le 8 septembre 1760, à Montréal, la capitulation du Canada et, par le fait même, de la Nouvelle-France, à l’exception de la Louisiane qui avait été cédée en secret à l’Espagne.

Les capitulations de Québec et de Montréal furent rédigées en français. En acceptant la capitulation, les successeurs du général Wolfe garantissaient les droits civils et religieux, et les propriétés des Canadiens qui cesseraient le combat. La Nouvelle-France passa sous administration britannique, sauf la Louisiane qui deviendra officiellement espagnole en 1763 lors du traité de Paris. Le général Amherst nomma James Murray gouverneur militaire provisoire de Québec, Ralph Burton à Trois-Rivières et Thomas Gage à Montréal. On ignore exactement combien de Canadiens périrent durant la guerre de la Conquête, mais les historiens estiment leur nombre à 6 000 ou 7 000, soit le dixième de la population totale.

Quoi qu'il en soit, la guerre avait épuisé considérablement la colonie, et la population enregistra un recul de 10 000 âmes (sur 70 000) en raison des décès dus aux maladies et à la famine. Lors de la Conquête, la Grande-Bretagne se retrouvait avec un pays dont la population blanche était entièrement de langue française et de religion catholique, et une population autochtone en grande partie christianisée et très superficiellement francisée.

Au même moment, Catherine la Grande montait sur le trône de Russie et rêvait d'un empire qui comprendrait l'Amérique du Nord. Pour ce faire, elle voulait étendre le commerce russe des fourrures le long de la côte occidentale de l'Amérique et affirmer sa souveraineté sur cette région en y établissant des colonies russes. La Russie devra se contenter de l'Alaska où elle installera des colonies de peuplement en 1784. On y introduisit le russe jusqu'en 1867, année où la colonie fut vendue aux Américains. L'anglais remplacera le russe comme langue véhiculaire. 

État de la langue française et de la langue anglaise au 17e siècle

Nous sommes au début des colonisations européennes au Canada. Au 17e siècle, le français et l'anglais étaient parlées dans certaines régions du Canada. On parlait le français dans la vallée du Saint-Laurent, en Acadie et à Terre-Neuve, alors qu'on parlait l'anglais en Acadie (appelée Nouvelle-Écosse) et à Terre-Neuve. Ce n'est donc pas d'hier que ces deux langues sont en présence dans ce qui sera plus tard le Canada..

Langue française sous le Régime français

T

Le français parlé au Canada par les habitants de l'époque ne pouvait pas être très différent de celui utilisé en France. La « langue du roy » éait identique des deux côtés de l'océan : les nobles et les fonctionnaires de la colonie parlaient la même variété de français qu'en France (Paris). Quant au peuple, une fois l'unité linguistique réalisée, il utilisait la même variété de français que les classes populaires de Paris. La variété parlée par les Canadiens de l'époque se caractérisait par une prononciation parisienne, influencée toutefois par les origines dialectales des habitants (surtout le parler normand et le saintongeais), une syntaxe simple, un vocabulaire légèrement archaïque et teinté de provincialismes de la Normandie et de la région du sud-ouest de la France. Bref, rien qui puisse vraiment distinguer le « francisé » de la Nouvelle-France du « francisant » de la mère patrie. Ce qui est plus remarquable au Canada, c'est que l'unité linguistique fut réalisée dès le début de la colonie, alors qu'en France il faudra attendre la fin du 19e siècle.

D'ailleurs, les témoignages des contemporains de l'époque sont unanimes sur cette question. En 1691, le père Chrestien Le Clercq disait qu'« un grand homme d'esprit » lui a appris que le Canada possède « un langage plus poli, une énonciation nette et pure, une prononciation sans accent ». Le père Charlevoix est presque idyllique lorsqu'il écrivait : « Nulle part ailleurs, on ne parle plus purement notre langue. On ne remarque ici aucun accent ». Un Suédois de passage au Canada en 1749, Pierre Kalm, fit rire de lui par « les dames canadiennes, celles de Montréal surtout » en raison de ses « fautes de langage » et il s'en montra fort choqué ! Jean-Baptiste d'Aleyrac, un officier français qui vécut au Canada de 1755 à 1760, déclarait que les Canadiens parlaient « un français pareil au nôtre » :

Tous les Canadiens parlent un français pareil au nôtre. Hormis quelques mots qui leur sont particuliers, empruntés d'ordinaire au langage des matelots, comme amarrer pour attacherhâler pour tirer non seulement une corde mais quelque autre chose. Ils en ont forgé quelques-uns comme une tuque ou une fourole pour dire un bonnet de laine rouge ... Ils disent une poche pour un sac, un mantelet pour un casaquin sans pli ... une rafale pour un coup de vent, de pluie ou de neigetanné au lieu d'ennuyéchômer pour ne manquer de rien; la relevée pour l'après-midichance pour bonheurmiette pour momentparé pour prêt à.L'expression la plus ordinaire est de  valeur, pour signifier qu'une chose est pénible à faire ou trop fâcheuse.

Quant au marquis de Montcalm, il ne put s'empêcher de reconnaître en 1756 que « les paysans canadiens parlent très bien le français ». Il ajoutait : « Comme sans doute ils sont plus accoutumés à aller par eau que par terre, ils emploient volontiers les expressions prises de la marine. » Ça, c'était l'influence normande !

Ces témoignages — et il y en a beaucoup d'autres — paraissent certes un peu (trop) élogieux et n'attestent que des faits anecdotiques; on peut douter aussi de leur justesse à un usage général qui se serait étendu à toute la population. Cependant, il ne faut pas oublier que ces témoignages, même s'ils ne proviennent pas de linguistes, concordent tous. C'est pourquoi, malgré ces réserves, ils demeurent précieux et utiles pour connaître la perception qu'on avait de l'état de la langue des Canadiens. On pourrait affirmer qu'on parlait en Nouvelle-France une langue française qui n'avait rien à envier à celle de Paris. On sait aussi que, à la fin du Régime français, les Français et les Canadiens avaient une prononciation et un accent assez identiques, mais que certains traits de vocabulaire commençaient à diverger. Les habitants du Canada n'étaient plus des Français, mais des Canadiens. 

Pehr Kalm

Quant au marquis de Montcalm, il ne put s'empêcher de reconnaître en 1756 que « les paysans canadiens parlent très bien le français ». Il ajoutait : « Comme sans doute ils sont plus accoutumés à aller par eau que par terre, ils emploient volontiers les expressions prises de la marine. » Ça, c'était l'influence normande !

Ces témoignages — et il y en a beaucoup d'autres — paraissent certes un peu (trop) élogieux et n'attestent que des faits anecdotiques; on peut douter aussi de leur justesse à un usage général qui se serait étendu à toute la population. Cependant, il ne faut pas oublier que ces témoignages, même s'ils ne proviennent pas de linguistes, concordent tous. C'est pourquoi, malgré ces réserves, ils demeurent précieux et utiles pour connaître la perception qu'on avait de l'état de la langue des Canadiens. On pourrait affirmer qu'on parlait en Nouvelle-France une langue française qui n'avait rien à envier à celle de Paris. On sait aussi que, à la fin du Régime français, les Français et les Canadiens avaient une prononciation et un accent assez identiques, mais que certains traits de vocabulaire commençaient à diverger. Les habitants du Canada n'étaient plus des Français, mais des Canadiens. 

Marquis de Montcalm

Langue anglaise à Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse

À la fin du Régime français, il n'existait que deux colonies britanniques dans ce qui fera partie du Canada : Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse. Les colons terre-neuviens provenaient, d'une part, du sud-ouest de l'Angleterre, une variété linguistique qui s'écartait au départ de l'anglais londonien, d'autre part, de l'irlandais. Au début, les pêcheurs irlandais et anglais parlèrent leur langue maternelle respective, mais peu à peu, en raison de l'anglais londonien de l'Administration, il s'est produit un certain mixage qui a contribué à créer un parler régional relativement différent de ce qui deviendra plus tard l'« anglais canadien courant », notamment en raison des influences phonétiques de l'irlandais.

Les premiers colons non francophones de la Nouvelle-Écosse furent des Écossais, puis des Irlandais. Ils marquèrent l'usage linguistique de la colonie. L'arrivée des quelques colons américains avant la Conquête de 1760 ne modifia que fort peu la langue parlée par les Néo-Écossais. Graduellement, l'anglais parlé en Nouvelle-Écosse se rapprocha de l'anglais londonien, mais conserva toujours certaines particularités issues de ses origines écossaises. Avec l'arrivée des loyalistes après 1783,resized images la situation linguistique changera profondément. 

Arrival of Scottish settlers in Pictou, N.S