Prélude du régime militaire de 1760

Les Britanniques installèrent rapidement leurs généraux James Murray, Raphl Burton et Thomas Gage, respectivement dans les gouvernements de Québec, de Trois-Rivières et de Montréal. Pendant que se poursuivait l'occupation militaire du Canada, le général anglais Jeffrey Amherst, successeur de Wolfe, procéda à l'organisation d'un régime administratif provisoire, car, tant que la guerre (guerre de Sept Ans) continuait en Europe, le sort du pays en Amérique demeurait incertain. Néanmoins, quelque 2 500 soldats et administrateurs français quittèrent immédiatement la colonie et retournèrent en France; l'année suivante, environ un millier d'autres personnes que la situation inquiétait firent de même.

Traité de Paris (1763) et l'Amérique du Nord

Par le traité de Paris de 1763, qui mettait fin officiellement à la guerre de Sept Ans (1756-1763) entre la France et la Grande-Bretagne, la Nouvelle-France, à l'exception de la Louisiane, devint officiellement une possession britannique. Les signataires du traité étaient le duc de Praslin pour la France et le duc de Bedford pour la Grande-Bretagne. De son immense empire en Amérique du Nord, la France ne conservait que les minuscules îles de Saint-Pierre-et-Miquelon au sud de Terre-Neuve. Entre-temps, la Louisiane était devenue une possession espagnole; en effet, le 3 novembre 1762, l'Espagne avait signé l'acte d'acceptation de la Louisiane (Acte d'acceptation de la Louisiane par le roi d'Espagne) à Fontainebleau.

La France perdait dans les Antilles la Grenade, Saint-Vincent, la Dominique et Tobago, ainsi que la Guyane, mais récupérait Sainte-Lucie, la Guadeloupe, Marie-Galante, la Désirade et la Martinique. En Inde, elle ne conservait que les cinq comptoirs de Chandernagor, de Yanaon, de Pondichéry, de Karikal et de Mahé, qu'il lui était interdit de fortifier. La Grande-Bretagne récupérait l’île de Minorque et l'Espagne regagnait Cuba, en compensation de la perte de la Floride passée à la Grande-Bretagne avec le Canada. Pour finir, la Grande-Bretagne obtenait le Sénégal en Afrique.

Archipelago of Saint Pierre and Miquelon

Ainsi, la guerre de Sept Ans fut particulièrement désastreuse pour la France, qui voyait son prestige militaire compromis en Europe, sa marine très affaiblie et ses finances ruinées; elle ne conservait que quelques lambeaux de son empire colonial en formation, qui passait presque entièrement aux mains de la Grande-Bretagne. Même si la France perdait ainsi son premier empire colonial, à l'époque, personne ne s'en soucia. Pourtant, pour certains historiens, la perte de la Nouvelle-France constituera dans l'histoire de la France « la plus grande défaite du monde français ». Par comparaison, les défaites de Napoléon peuvent être considérées comme négligeables.

Cesar Gabriel de Choiseul, John Russel

Proclamation royale de 1763 et emploi des langues

Afin de réglementer le cadre administratif des territoires nouvellement acquis en Amérique du Nord, le parlement de Westminster adopta, le 7 octobre 1763, la Proclamation royale de Georges III. Comme toutes les lois anglaises, la proclamation royale fut adoptée et promulguée en anglais, la version française n'ayant aucune valeur juridique. Il ne s'agit que d'un texte traduit à l'intention des francophones. 

La Proclamation royale délimitait les frontières de la nouvelle colonie, la « Province of Quebec » (province de Québec) :

Article 1

Le gouvernement de Québec sera borné sur la côte du Labrador par la rivière Saint-Jean et de la par une ligne s'étendant de la source de cette rivière à travers le lac Saint-Jean jusqu'à l'extrémité sud du lac Nipissin, traversant de ce dernier endroit, le fleuve Saint-Laurent et le lac Champlain par 45 degrés de latitude nord, pour longer les terres hautes qui séparent les rivières qui se déversent dans ledit fleuve Saint-Laurent de celles qui se jettent dans la mer, s'étendre ensuite le long de la côte nord de la baie de Chaleurs et de la côte du golfe Saint-Laurent jusqu'au cap Rozière, puis traverser de la l'embouchure du fleuve Saint-Laurent en passant par l'extrémité ouest de l'île d'Anticosti et se terminer ensuite à ladite rivière Saint-Jean.

Les anciennes frontières du Canada français s'étendaient de l'Acadie jusqu'aux Grands Lacs et la vallée de l'Ohio. Dès lors, toute la zone des Grands Lacs en fut détachée et érigée en « Territoire indien ». La Proclamation royale de 1763 reconnaissait aussi l'existence du droit des autochtones et désignait la Couronne anglaise comme protectrice de ce droit. En réalité, si les Britanniques « abandonnèrent » aux autochtones la plus grande partie du territoire conquis, c'est qu'ils ne pouvaient pas en assurer la défense. Aussi bien laisser temporairement les territoires incontrôlables aux autochtones.

De toute façon, les autorités coloniales savaient déjà que cette situation ne pouvait être que provisoire et que, avec l'immigration éventuelle de colons anglais, il serait plus facile de déloger ces alliés devenus trop encombrants. Il fallait aussi limiter l'expansion vers l'ouest des Treize Colonies américaines, afin de favoriser les surplus de population vers le nord : le Québec et la Nouvelle-Écosse (qui englobait alors le Nouveau-Brunswick et l'île du Prince-Édouard).

Acte de Québec de 1774 et dualité linguistique

Devant les difficultés et le climat qui se détérioraient dans les colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre, le gouvernement britannique devait prendre des mesures afin d'éviter que se propagent les tendances autonomistes dans ses colonies du Nord. Pour sa part, le gouverneur de la « province de Québec », Guy Carleton, un aristocrate anglo-irlandais, ne semblait guère avoir une grande confiance envers les Canadiens, du moins si l'on en juge par ces propos : « J'ose croire que, si nous pouvions compter sur la population, nous pourrions tenir la place. Mais nous avons tant d'ennemis chez ce peuple sot trompé par des traîtres. »

Malgré son peu d'enthousiasme, le gouverneur Carleton recommanda à Londres de prendre des dispositions afin de s'assurer la fidélité des Canadiens en cas de conflit avec les Treize Colonies. C'est que le pragmatisme politique prévalut; le gouverneur Carleton jugea préférable de prendre position en faveur des Canadiens plutôt que pour les marchands anglais. Il devint même, à certains égards, sympathique à la cause des Canadiens. Il finit par tolérer que les affaires judiciaires impliquant des Canadiens soient jugées selon les lois françaises et que des catholiques puissent accéder à des fonctions officielles.

Guy Carlenton