Introduction à la langue des tribunaux

Cette section présente les dispositions constitutionnelles et législatives qui imposent des exigences en matière de langue des tribunaux et des procédures judiciaires. Le droit d’employer sa langue devant les tribunaux permet la participation équitable des représentants de la minorité linguistique aux débats.

L’organisation judiciaire du Canada est complexe. Pour comprendre les droits linguistiques, il faut en glisser un mot.

Le Parlement fédéral peut créer des tribunaux pour administrer les « lois du Canada » (article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867), et il a effectivement créé la Cour suprême du Canada, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, ainsi que d’autres tribunaux fédéraux comme la Cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt ou le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal de la concurrence, le Tribunal des droits de la personne. Ces organismes sont des « institutions fédérales » et l’article 19(1) de la Charte canadienne ou la partie III de la Loi sur les langues officielles du Canada vont s’appliquer à ces tribunaux fédéraux.  Le gouvernement fédéral est aussi responsable des pénitenciers qui abritent les personnes ayant reçu des sentences de deux ans ou plus, des commissions de libération conditionnelle et des agents de probation, ainsi que de la police fédérale (GRC et autres corps policiers fédéraux).

Les provinces (et territoires) sont responsables de l’administration de la justice dans leur juridiction, incluant la création des tribunaux. Les provinces (et les trois territoires) disposent d’une cour d’appel générale pour la province, de cours supérieures qui existaient avant leur entrée dans la confédération, et de cours provinciales et autres tribunaux administratifs. Le gouvernement fédéral nomme les juges des cours supérieures (article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867), les provinces nomment les autres. Pour tous les procès autres que criminels, et sous réserve des exigences constitutionnelles qui s’appliquent dans certaines provinces, chaque province (et chaque territoire) peut régir la langue des procédures judiciaires, la langue des procès, la langue des procureurs et des juges, la langue des jugements et décisions et la langue des appels devant ses tribunaux. Les provinces sont aussi constitutionnellement responsables de l’aide juridique, des prisons pour les sentences de moins de 2 ans, des commissions d’examen des troubles mentaux, des psychologues et travailleurs sociaux, des tribunaux de la jeunesse et des commissions des droits de la personne.

En conséquence, la situation linguistique est très complexe et difficile à expliquer. L’accès à des services dans la langue de la minorité en matière de justice dépend parfois des lois fédérales, mais d’autres fois des lois des provinces ou territoires. Cette section se concentre uniquement sur la langue des procédures judiciaires et des tribunaux, fédéraux ou provinciaux. Tout ce qui relève de l’aide juridique, des prisons et pénitenciers, de la police (sauf quand elle émet des procédures judiciaires), de la réinsertion sociale, de l’aide aux victimes, tombe sous le  coup des « services » offerts au « public ».

Cette section est subdivisée en trois parties : les exigences constitutionnelles; la législation fédérale; les provinces et territoires.

Loi constitutionnelle

En matière judiciaire, les exigences constitutionnelles s’appliquent à quatre juridictions : le fédéral, le Québec, le Nouveau-Brunswick et le Manitoba.

Au palier fédéral, deux dispositions constitutionnelles sont applicables : l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et le paragraphe 19(1) de la Charte canadienneChacune des deux dispositions s’applique aux tribunaux établis par le Parlement du Canada, c’est-à-dire la Cour suprême du Canada, la cour fédérale d’appel, la cour fédérale et les autres tribunaux fédéraux.

Au Nouveau-Brunswick, le paragraphe 19(2) de la Charte canadienne garantit le droit d’employer le français ou l’anglais dans les tribunaux du Nouveau-Brunswick ou dans les actes de procédure qui en découlent.

La jurisprudence a indiqué que les deux dispositions, l’article 133 et l’article 19, s’interprètent de la même manière : Société des Acadiensjugement majoritaire, le juge Beetz. Dans MacDonaldla Cour à la majorité a statué que les auteurs des procédures judiciaires émanant d’un tribunal québécois ont le droit de choisir la langue de rédaction de celles-ci. Dans Société des Acadiens, la Cour a statué que le droit d’employer le français ou l’anglais devant les tribunaux du Nouveau-Brunswick ou dans les actes de procédure qui en découlent, ne donne pas un droit d’être compris par les juges directement dans la langue choisie, sans l’aide d’un interprète. Dans les deux cas, il est raisonnable de présumer que la même conclusion s’applique au droit d’employer le français ou l’anglais devant les tribunaux fédéraux. Ces deux décisions ont adopté une interprétation littérale des articles 133 et 19 en raison du fait que les droits linguistiques sont des compromis politiques : les tribunaux ne doivent donc pas en changer la nature. Même si la règle de l’interprétation restrictive fondée sur le compromis politique a été abandonnée dans Beaulac et n’a jamais été appliquée depuis, le fonds des deux décisions est demeuré inchangé à ce jour : une personne a le droit constitutionnel d’employer le français ou l’anglais devant les tribunaux fédéraux, québécois, manitobains ou néo-brunswickois, mais pas celui d’être compris par le juge sans interprète. Un juge peut choisir de rédiger son jugement en anglais même si toutes les parties sont francophones. Une sommation judiciaire peut être émise en français même si le prévenu est anglophone. Selon la Cour suprême, si ce résultat ne satisfait pas la juridiction concernée, elle peut modifier la règle au moyen d’une loi. Nous verrons comment les lois ont modifié cette règle.

Au Québec, il existe une seule disposition applicable : l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Son interprétation a été discutée ci-haut.

Au Manitoba, la disposition applicable est l’article 23 de la Loi sur le Manitoba de 1870, qui a acquis un statut constitutionnel par l’article 5 de la Loi constitutionnelle de 1871. Cet article s’applique à tous les tribunaux manitobains. Il s’interprète de la même manière que l’article 133 ci-haut mentionné.

En dehors de ces dispositions constitutionnelles, chaque province ou territoire est libre de légiférer concernant la langue des tribunaux : Conseil scolaire francophone de Colombie-Britannique c Procureur général de Colombie-Britannique.

Loi fédérale

À la suite de Société des Acadiens et devant le tollé provoqué par l’absurdité de la décision (on a le droit de parler sa langue devant les tribunaux mais pas celui d’être compris!), le législateur fédéral s’est vu obligé d’intervenir. Trois lois fédérales régissent la langue des tribunaux dans les domaines de compétence fédérale : la partie XVII du Code criminell'article 23.2 de la Loi sur le divorce, et, bien entendu, la partie III de laLoi sur les langues officielles du Canada.

Provincial and territorial laws

Rappelons que les provinces et territoires sont responsables de la langue des procédures civiles et quasi-pénales devant leurs tribunaux, mais qu’elles doivent respecter les règles du Code criminel en ce qui a trait aux procès criminels devant leurs tribunaux.  Si le litige a lieu devant un tribunal de la province et concerne une loi fédérale autre que criminelle (par exemple, le divorce), mais que le parlement fédéral n’a pas imposé de règles concernant la langue des procédures, on applique alors le régime linguistique provincial puisqu’on est devant un tribunal provincial, même pour les tribunaux provinciaux dont le fédéral nomme les juges.