Histoire linguistique du Canada

Amérique du Nord britannique

Prélude du régime militaire de 1760

Les Britanniques installèrent rapidement leurs généraux James Murray, Raphl Burton et Thomas Gage, respectivement dans les gouvernements de Québec, de Trois-Rivières et de Montréal. Pendant que se poursuivait l'occupation militaire du Canada, le général anglais Jeffrey Amherst, successeur de Wolfe, procéda à l'organisation d'un régime administratif provisoire, car, tant que la guerre (guerre de Sept Ans) continuait en Europe, le sort du pays en Amérique demeurait incertain. Néanmoins, quelque 2 500 soldats et administrateurs français quittèrent immédiatement la colonie et retournèrent en France; l'année suivante, environ un millier d'autres personnes que la situation inquiétait firent de même. 

Situation démolinguistique
Population de l'amérique du nord en 1761

En 1761, la situation démographique se présentait ainsi : la population blanche du Canada était de 70 000 habitants (et plus de 200 000 autochtones), contre 1,6 million en Nouvelle-Angleterre. À l'île de Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse, on dénombrait 20 000 Britanniques, partagés en nombre à peu près égal entre les deux colonies. Les francophones du Canada de la vallée du Saint-Laurent formaient 99,7 % de la population. Forcément, le poids du nombre interdisait aux Britanniques de pratiquer une politique colonisatrice trop radicale. Ces derniers étaient devenus les maîtres d'un pays français et catholique, mais comme la guerre n'était pas terminée en Europe, il était possible que la Grande-Bretagne ne s'y installe que de façon provisoire. Le nombre d'anglophones était infime et, jusqu'en 1765, il ne dépassera jamais 600 personnes, presque tous les militaires étant retournés en Grande-Bretagne. Bref, à part quelques fonctionnaires, et quelques centaines de militaires et de commerçants de langue anglaise, le pays ne comptait que des francophones et des Amérindiens peu francisés. Par la suite, on sait que les francophones ne recevront pratiquement plus d'immigrants en provenance de la France, alors que les anglophones verront augmenter leur population jusqu'à ce que, vers 1806, anglophones et francophones atteignent l'égalité numérique.

Emploi des langues

Le Canada était devenu un pays anglais et c'est en anglais que les Britanniques entendaient gouverner. Toutefois, pragmatiques, ils adoptèrent avec la population la politique du statu quo d'avant la guerre. Étant donné que le peuple ne pouvait obéir aux ordres que s'il les comprenait, les autorités anglaises publièrent leurs ordonnances en français et permirent aux Canadiens d'occuper de nombreux postes dans l'administration et la justice. Par ailleurs, les gouverneurs, les officiers supérieurs et les hauts fonctionnaires étaient généralement bilingues et pouvaient communiquer directement en français avec les Canadiens. Les actes notariés continuèrent d'être rédigés en français, de même que les registres de l'état civil tenus par les curés. Le gouvernement militaire décida d'appliquer les lois criminelles anglaises tout en conservant les lois civiles françaises (ce qu'on appelait la Coutume de Paris, à laquelle s'ajoutaient le droit français de la Métropole  — comme les ordonnances royales, le droit canon pour le mariage, le droit romain pour les obligations  — ainsi que les ordonnances des intendants et les arrêts de règlement du Conseil souverain). Dorénavant, les lois de la Coutume de Paris, qui continuaient de s'appliquer, portèrent le nom moins gênant de « lois du Canada ». Il y eut néanmoins quelques cas où des lois civiles anglaises prévalurent sur la Coutume de Paris : par exemple l'âge de la majorité passa de 25 ans (l'âge légal sous le Régime français) à 21 ans (à la grande satisfaction des Canadiens). Le droit britannique s'est également appliqué dans les procès, car contrairement au droit français la Couronne doit prouver la culpabilité de l'accusé. Une nouvelle carrière s'ouvrit aux Canadiens instruits : celle d'avocat.

Jeffery Amherst

Le général Amherst tenta d'établir un climat de confiance entre les francophones et les anglophones en interdisant le pillage, les injustices, et en accordant les mêmes droits à tout le monde. Le 12 décembre 1761, le secrétaire d'État britannique, lord Egremont, fit parvenir au général Amherst les recommandations suivantes sur la conduite à tenir envers les Canadiens :

Vous avertirez les gouverneurs ci-dessus nommés [de Montréal, Trois-Rivières et Québec] de donner des ordres précis et très exprès, pour empêcher qu'aucun soldat, matelot ou autre n'insulte les habitants français qui sont maintenant sujets du même prince, défendant à qui que ce soit de les offenser en leur rappelant d'une façon peu généreuse cette infériorité à laquelle le sort des armes les a réduits ou en faisant des remarques insultantes sur leur langage, leurs habillements, leurs modes, leurs coutumes et leur pays, ou des réflexions peu charitables et peu chrétiennes sur les erreurs de l'aveugle religion qu'ils ont le malheur de suivre.

Toutefois, le gouverneur modifia une partie de la dernière phrase. Il changea la partie sur les erreurs de l'aveugle religion qu'ils ont le malheur de suivre par la religion qu'ils professent, afin que le texte, qui devait être lu en français et affiché aux portes des églises, soit mieux reçu. De toute façon, il n'était pas possible de faire autrement; de plus, c'était un moyen efficace pour se rallier la population.

Quant aux commerces de détail, il resta entre les mains des commerçants canadiens qui devaient toutefois obtenir un permis du gouverneur et utiliser dorénavant les unités de mesure anglaises. Par contre, le commerce d'importation fut aussitôt contrôlé par des marchands anglais, surtout protestants et juifs, déjà nombreux à Montréal, d'où leur surnom de Montrealers.Cette pratique mercantiliste découlait des lois britanniques adoptées un siècle plus tôt, dont la Loi sur la navigation (Navigation Act de 1660) maintes fois modifiées (en 1662, 1663, 1670 et 1673). Conformément à la Loi sur la navigation, toute activité commerciale devait passer par la Métropole sur des navires possédés par les Anglais (ou Irlandais, Gallois ou Écossais), commandés par des capitaines anglais et dotés d'un équipage en majorité anglais (les trois quarts). Le mercantilisme et les lois sur la navigation (les Navigation Acts) étaient conçus pour protéger les intérêts de la mère patrie. Ce système permettait non seulement à la Couronne de posséder le monopole sur les produits bruts des colonies, mais également d'empêcher celles-ci de concurrencer Londres. Ou bien les marchands français ont fait faillite ou bien ils sont retournés en France. 

Le nom de « Province of Québec »

Le Canada porta aussitôt le nom de Province of Québec (« province de Québec »). Rappelons qu'à l'époque le mot « province », tant en Grande-Bretagne qu'en France, désignait une « colonie » (colony) ou même une « plantation » (en Nouvelle-Angleterre). L'Administration de la nouvelle colonie s'organisa donc en français. Cependant, la connaissance de la langue anglaise apparut dorénavant comme très utile pour assurer la promotion sociale et économique; l'élite canadienne de Québec et de Montréal se mit lentement à l'apprentissage de la nouvelle langue. De cette courte période, il y a donc peu à dire dans la mesure où une sorte de statu quo se perpétuait.

À partir de ce moment de l'histoire canadienne, le terme français de Canadiens désigna les descendants des colons français qui s'étaient établis au Canada — de toute façon, ils n'étaient plus des Français depuis longtemps — et qui avaient continué à parler la langue française, par opposition aux nouveaux occupants et nouveaux immigrants anglophones désignés généralement par les Canadiens comme les Anglais, plus rarement les Britanniques. Quant à ces derniers, ils préféraient parler d'eux-mêmes en opposant les termes subjects (« sujets », les anglophones) ou British subjects (« sujets britanniques ») de Sa Majesté à ceux de new subjects (« nouveaux sujets », les francophones); parfois, les termes British ou Britons (« Bretons ») étaient utilisés. À partir de cette époque, les habitants du Canada et de l’Acadie ne furent plus perçus comme des «Français», mais comme des «Canadiens» ou des «Acadiens». 

Traité de Paris (1763) et l'Amérique du Nord
Saint Pierre et Miquelon
©Jacques Leclerc 2018

Par le traité de Paris de 1763, qui mettait fin officiellement à la guerre de Sept Ans (1756-1763) entre la France et la Grande-Bretagne, la Nouvelle-France, à l'exception de la Louisiane, devint officiellement une possession britannique. Les signataires du traité étaient le duc de Praslin pour la France et le duc de Bedford pour la Grande-Bretagne. De son immense empire en Amérique du Nord, la France ne conservait que les minuscules îles de Saint-Pierre-et-Miquelon au sud de Terre-Neuve. Entre-temps, la Louisiane était devenue une possession espagnole; en effet, le 3 novembre 1762, l'Espagne avait signé l'acte d'acceptation de la Louisiane (Acte d'acceptation de la Louisiane par le roi d'Espagne) à Fontainebleau.

Paris-1763-fr

La France perdait dans les Antilles la Grenade, Saint-Vincent, la Dominique et Tobago, ainsi que la Guyane, mais récupérait Sainte-Lucie, la Guadeloupe, Marie-Galante, la Désirade et la Martinique. En Inde, elle ne conservait que les cinq comptoirs de Chandernagor, de Yanaon, de Pondichéry, de Karikal et de Mahé, qu'il lui était interdit de fortifier. La Grande-Bretagne récupérait l’île de Minorque et l'Espagne regagnait Cuba, en compensation de la perte de la Floride passée à la Grande-Bretagne avec le Canada. Pour finir, la Grande-Bretagne obtenait le Sénégal en Afrique.

Ainsi, la guerre de Sept Ans fut particulièrement désastreuse pour la France, qui voyait son prestige militaire compromis en Europe, sa marine très affaiblie et ses finances ruinées; elle ne conservait que quelques lambeaux de son empire colonial en formation, qui passait presque entièrement aux mains de la Grande-Bretagne. Même si la France perdait ainsi son premier empire colonial, à l'époque, personne ne s'en soucia. Pourtant, pour certains historiens, la perte de la Nouvelle-France constituera dans l'histoire de la France « la plus grande défaite du monde français ». Par comparaison, les défaites de Napoléon peuvent être considérées comme négligeables. 

Carte de l'Amérique du Nord britannique
Carte de l’Amérique du Nord britannique

Selon les dispositions du traité de Paris de 1763, la Grande-Bretagne contrôlait dorénavant un immense territoire couvrant la Terre de Rupert, la baie d'Hudson, le Canada (l'actuelle province de Québec, la grande région des Grands Lacs et la vallée de l'Ohio), l'île de Terre-Neuve, l'île du Cap-Breton, l'Acadie (qui deviendra la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick), l'île Saint-Jean (île du Prince-Édouard), toute la Nouvelle-Angleterre (treize colonies) et la Floride prise aux Espagnols.

Évidemment, le traité de Paris se trouvait à confirmer que la Grande-Bretagne était devenue le plus grand empire du monde et que l'Amérique du Nord serait dorénavant anglaise. Le nouveau cadre administratif du continent se présentait de la façon suivante :

La province de Québec (« Province of Quebec ») était déclarée colonie (ou « province ») et ses frontières englobaient la péninsule de Gaspé (arrachée à l'Acadie), la vallée du Saint-Laurent, depuis l'île d'Anticosti jusqu'à la rivière Outaouais.

La Nouvelle-Écosse (« Nova Scotia ») comprenait le nord de la baie de Fundy (l'actuel Nouveau-Brunswick), l'île Saint-Jean et l'île Royale (devenue l'île du Cap-Breton).

La colonie de Terre-Neuve (« Newfoundland ») réunissait l'île de Terre-Neuve, le Labrador et les îles de la Madeleine, afin de contrôler tout le commerce des pêcheries.

La Terre de Rupert restait sous le contrôle exclusif de la Compagnie de la Baie d'Hudson en tant que « colonie privée ».

Il restait un immense triangle (Grands Lacs, Appalaches et Mississipi) reconnu comme « Territoire indien », où il était interdit d'envoyer des colons.

Malgré tout, les Français étaient parvenus à convaincre les Britanniques de renouveler leurs droits de pêche sur la côte de Terre-Neuve (le « French Shore »); en acceptant de rendre aux Français les îles de Saint-Pierre-et-Miquelon, la Grande-Bretagne concédait que le petit archipel serve de refuge à la flotte de pêche française sur les Grands Bancs. Au cours de son histoire, le petit archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon fut pris et repris neuf fois alternativement par les Anglais et les Français, et à quatre reprises il fut totalement dévasté et tous les habitants déportés. Ce n’est qu’en 1816 que la Grande-Bretagne cèdera définitivement l’archipel à la France. 

Aspects linguistiques

Fait à noter, le mot Canada disparut des textes juridiques officiels, comme si la Grande-Bretagne avait voulu rompre tout lien avec le passé du pays. À partir du traité de Paris, et ce, jusqu'en 1791, le Canada, réduit désormais à la seule vallée du Saint-Laurent, sera officiellement appelé Province of Quebec (province de Québec), le mot « province » désignant une « colonie ». De plus, dans l'usage officiel, les autorités britanniques parleront plutôt de « nouveaux sujets » plutôt que d'utiliser le terme Canadiens, par opposition aux « anciens sujets » de Sa Majesté. Dans la vie quotidienne, le titre de Canadien demeurera durant les décennies suivantes l'apanage exclusif des descendants des Français, les autres étant désignés comme « les Anglais ».

Le traité de Paris a été rédigé en français, alors la langue de la diplomatie internationale. C'est donc un document officiel rédigé en français qui a fait du Canada une colonie britannique. Voici ce qu'on peut lire dans un article séparé (art. 2) au sujet de la langue :

Article 2

Il a été convenu et arrêté que la langue française, employée dans tous les Exemplaires du présent Traité, ne formera point un Exemple, qui puisse être allégué, ni tiré à conséquence, ni porter préjudice, en aucune manière, à aucune des Puissances Contractantes; Et que l'on se conformera, à l'avenir, à ce qui a été observé, et doit être observé, à l'égard, et de la part, des Puissances, qui sont en usage, et en possession, de donner, et de recevoir, des Exemplaires, de semblables Traités, en une autre langue que la française.

Comme c'était la coutume à l'époque, le traité déclarait que le seul document légal était en français. Il n'accordait aucun droit linguistique aux habitants des colonies conquises, mais cette question n'inquiétait alors personne. Le français était l'outil de communication privilégié entre les nations d'Europe et il était parlé par toute l'élite anglaise. Non seulement le général Jeffery Amherst le parlait, mais également, comme tous les gens de leur classe sociale, James Murray, Thomas Gage, Ralph Burton, Frederik Haldimand (un Suisse francophone), etc., qui allaient diriger la colonie. 

Liberté de religion

Personne ne se posait de questions sur l'avenir de la langue des Canadiens, car le point litigieux n'était pas la langue mais la religion.

George III

Selon le traité de Paris, la Grande-Bretagne assurait aux Canadiens qui décideraient de rester au pays le droit de conserver leurs propriétés et de pratiquer leur religion catholique « en autant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne », même si les lois de la Grande-Bretagne en matière de religion ne permettait pas grand-chose à cette époque.
Cependant, l'écart entre la société anglaise et la société française n'était pas tellement grand et le passage des Canadiens d'une société à l'autre ne parut pas un drame pour la société canadienne. C'est que le système traditionnel des Canadiens reposait sur une monarchie catholique, le roi portant le titre de Sa Majesté Très Chrétienne, avec les devoirs qui en découlaient et agissant comme le chef d'une Église gallicane. La Grande-Bretagne était également un régime monarchique de religion chrétienne, dont le roi portait le titre de Défenseur de la Foi, avec des devoirs envers la religion. Précisons aussi que, dans les formules solennelles des traités, le roi anglais se donnait le titre de « roi de Grande-Bretagne et de France », en souvenir sans doute de l'époque où la Couronne anglaise possédait la moitié de la France. Dans les deux pays, l'Église était soumise à l'État et le roi nommait les évêques. La société canadienne se maintenait donc dans un régime monarchique et chrétien, ce qui la conservait dans une sorte d'« habitat culturel » familier.

La seule difficulté apparente pour les Anglais concernait bel et bien la religion. À cette époque, un bon « sujet » de Sa Majesté se devait avant tout d'être de religion anglicane. Or, la guerre laissait à la Grande-Bretagne non seulement une énorme dette nationale, mais un empire colonial plus complexe à administrer, puisque ce dernier devait intégrer des catholiques romains francophones à une population protestante anglophone. 

Traité de Paris, un succès diplomatique pour les Français ?

Soulignons que, pour beaucoup de Français, la perte de la Nouvelle-France et du Canada n'était pas perçue comme une tragédie nationale. Pour certains, le commerce avec les Antilles paraissait préférable. Pour Étienne-François de Choiseul (1719-1785), alors secrétaire d'État à la Guerre et à la Marine, le traité de Paris de 1763 constituait même un « succès diplomatique ». Le ministre se consolait d'autant plus facilement que, pour lui, la cession du Canada constituait une véritable « bombe à retardement » pour l'Empire britannique. Lors de la signature du traité de Paris, Choiseul aurait déclaré à son entourage à propos des Anglais : « Nous les tenons! » Se voulant prophétique, il précisa : « Il n'y aura que la révolution d'Amérique qui arrivera, mais que nous ne verrons vraisemblablement point, qui remettra l'Angleterre dans l'état de faiblesse où elle ne sera plus à craindre en Europe ». Pour Choiseul, c'est la peur de la puissance militaire franco-canadienne qui faisait tenir les Treize Colonies américaines dans le giron britannique. Le traité de Paris de 1763 pouvait faire éclater l'empire colonial anglais. Pour sa part, James Murray, l'un des principaux acteurs anglais de la Conquête, répondit en juin 1760 à un officier français (Malartic) qui lui demandait si les Anglais allaient conserver le Canada :

Si nous sommes sages, nous ne le garderons pas. Il faut que la Nouvelle-Angleterre ait un frein à ronger et nous lui en donnerons un qui l'occupera en ne gardant pas ce pays-ci.

Traité de Paris 1763

Mais ce fut l'avis contraire de Benjamin Franklin qui l'emporta. En 1760, il convainquit les ministres britanniques que jamais les Treize Colonies ne se ligueraient contre « leur propre nation » et qu'il faudrait plutôt que la mère patrie se comporte de façon très hostile pour envisager un tel scénario invraisemblable, par exemple en remettant le Canada à la France. La Révolution américaine éclatera quand même en 1775, soit douze ans plus tard.

Proclamation royale de 1763 et emploi des langues

Afin de réglementer le cadre administratif des territoires nouvellement acquis en Amérique du Nord, le parlement de Westminster adopta, le 7 octobre 1763, la Proclamation royale de Georges III. Comme toutes les lois anglaises, la proclamation royale fut adoptée et promulguée en anglais, la version française n'ayant aucune valeur juridique. Il ne s'agit que d'un texte traduit à l'intention des francophones. 

La Proclamation royale délimitait les frontières de la nouvelle colonie, la « Province of Quebec » (province de Québec) :

Article 1

Le gouvernement de Québec sera borné sur la côte du Labrador par la rivière Saint-Jean et de la par une ligne s'étendant de la source de cette rivière à travers le lac Saint-Jean jusqu'à l'extrémité sud du lac Nipissin, traversant de ce dernier endroit, le fleuve Saint-Laurent et le lac Champlain par 45 degrés de latitude nord, pour longer les terres hautes qui séparent les rivières qui se déversent dans ledit fleuve Saint-Laurent de celles qui se jettent dans la mer, s'étendre ensuite le long de la côte nord de la baie de Chaleurs et de la côte du golfe Saint-Laurent jusqu'au cap Rozière, puis traverser de la l'embouchure du fleuve Saint-Laurent en passant par l'extrémité ouest de l'île d'Anticosti et se terminer ensuite à ladite rivière Saint-Jean.

Les anciennes frontières du Canada français s'étendaient de l'Acadie jusqu'aux Grands Lacs et la vallée de l'Ohio. Dès lors, toute la zone des Grands Lacs en fut détachée et érigée en « Territoire indien ». La Proclamation royale de 1763 reconnaissait aussi l'existence du droit des autochtones et désignait la Couronne anglaise comme protectrice de ce droit. En réalité, si les Britanniques « abandonnèrent » aux autochtones la plus grande partie du territoire conquis, c'est qu'ils ne pouvaient pas en assurer la défense. Aussi bien laisser temporairement les territoires incontrôlables aux autochtones.

De toute façon, les autorités coloniales savaient déjà que cette situation ne pouvait être que provisoire et que, avec l'immigration éventuelle de colons anglais, il serait plus facile de déloger ces alliés devenus trop encombrants. Il fallait aussi limiter l'expansion vers l'ouest des Treize Colonies américaines, afin de favoriser les surplus de population vers le nord : le Québec et la Nouvelle-Écosse (qui englobait alors le Nouveau-Brunswick et l'île du Prince-Édouard).

« Province » de Québec

Le premier gouverneur anglais de la nouvelle « province de Québec » fut James Murray et, comme tous les gens de sa condition, il parlait bien le français. Murray dut mettre en application la politique du gouvernement britannique : il s'agissait de faire du Canada une nouvelle colonie en favorisant l'immigration anglaise et l'assimilation des francophones, en implantant la religion officielle de l'État — l'anglicanisme — et en instaurant de nouvelles structures politiques et administratives conformes à la tradition britannique. C'était une politique considérée comme normale pour l'époque, et les Français, les Espagnols et les Portugais ne s'en privaient pas dans leurs différentes colonies, bien que ce ne soit pas nécessairement facile à appliquer. La Proclamation royale de 1763 prévoyait que le gouverneur devrait convoquer une assemblée générale des représentants du peuple, quand les circonstances le permettraient (ce qui n'a jamais été fait).

Politique linguistique britannique

James Murray

Dès 1764, James Murray établit les premières institutions judiciaires et décréta qu'on devait dorénavant juger « toutes les causes civiles et criminelles conformément aux lois d'Angleterre et aux ordonnances de cette province ». De plus, tout employé de l'État devait prêter le « serment du test ». Pour accéder à une fonction publique dans le système anglais, il fallait prêter ce serment afin de prouver qu'on était ainsi anglican pratiquant. Le serment du test comprenait quatre serments : l'allégeance à la Couronne britannique, la répudiation du prétendant Jacques II (de religion catholique) au trône d'Angleterre, le rejet de l'autorité du pape et l'abandon du dogme de la transsubstantiation (changement de toute la substance du pain et du vin en substance du corps et du sang du Christ) dans le sacrifice de la messe. Si un catholique pouvait aisément prêter les deux premiers serments, il n'en était pas ainsi pour les deux autres, à moins de trouver des dispenses pour rendre possible l'administration du pays.

Ces mesures vinrent à écarter presque automatiquement tous les Canadiens français (à l'exception de quelques huguenots, donc protestants, restés au pays) des fonctions publiques telles que fonctionnaire, greffier, avocat, apothicaire, capitaine, lieutenant, sergent, etc. Pour le procureur général de la province de Québec, Francis Maseres (descendant d'un huguenot français), il fallait assimiler les Canadiens :

Il s'agit de maintenir dans la paix et l'harmonie et de fusionner, pour ainsi dire en une seule, deux races qui pratiquent actuellement deux religions différentes, parlent des langues qui leur sont réciproquement étrangères et sont par leurs instincts portées à proférer des lois différentes. La masse des habitants est composée de Français originaires de la vieille France ou de Canadiens nés dans la colonie, parlant la langue française seulement et formant une population évaluée à quatre-vingt-dix mille âmes ou, comme les Français l'établissent par leur mémoire, à dix mille chefs de famille. Le reste des habitants se compose de natifs de la Grande-Bretagne ou d'Irlande ou des possessions britanniques de l'Amérique du Nord qui atteignent actuellement le chiffre de six cents âmes. Néanmoins, si la province est administrée de manière à donner satisfaction aux habitants, ce nombre s'accroîtra chaque jour par l'arrivée de nouveaux colons qui y viendront dans le dessein de se livrer au commerce ou à l'agriculture en sorte qu'avec le temps il pourra devenir égal, même supérieur à celui de la population française.

Le problème, c'est que l'immigration anglaise que l'on souhaitait tant attirer ne vint pas (elle n'arrivera qu'après 1783), parce que les nouveaux colons se dirigèrent plutôt en Nouvelle-Écosse (l'ancienne Acadie), pendant que la population francophone augmentait rapidement en raison de sa très forte natalité. Dès le départ, les autorités britanniques s'attendaient à ce que les soldats s'installent dans la « province de Québec » en grand nombre et assimilent éventuellement la population canadienne-française. Mais ce n'est pas ce qui s'est produit. D'ailleurs, l'histoire démontre que, au contraire, une armée d'occupation formée uniquement d'hommes entraîne généralement la disparition de la langue des conquérants, car la langue (maternelle) se transmet par la mère qui parle la langue du conquis. Les Normands (anciens Vikings) ont perdu leur langue de cette façon en envahissant la France. Dans le cas du Canada, les militaires sont presque tous retournés dans leur pays, à l'exception des troupes stationnées au pays. Justement, il y eut quelques mariages entre des Canadiennes et des soldats anglais.

Inévitable pragmatisme

Comme il fallait s'y attendre, il fut impossible pour James Murray d'appliquer à la lettre les lois civiles anglaises dans la « province de Québec ». Tout allait mal! Même le commerce des fourrures — le secteur le plus dynamique de l'économie — périclitait parce qu'on ne pouvait plus s'approvisionner dans le réservoir pelletier des Grands Lacs et celui du Nord. L'instauration des lois civiles anglaises menaçait la langue française et minait la société canadienne-française. La prestation du serment du test avait exclu les francophones de l'administration publique et les avait soumis à l'autorité d'une petite minorité protestante et anglophone (les Montrealers). Le fait de ne pas reconnaître l'autorité du pape rendait impossible la nomination d'un successeur à l'évêque de Québec (décédé en 1760) et, par voie de conséquence, vouait à l'extinction le clergé catholique, qui ne pouvait plus ordonner de nouveaux prêtres.

La situation devint rapidement grotesque dans les tribunaux, car la population était régie par des lois dont elle ignorait le moindre mot et entendue par des juges et des jurés qui ne comprenaient rien au tituation d des parties de langue française. Devant ce fait, les Canadiens boudèrent systématiquement les tribunaux et la fonction publique, laissant toute la place aux anglophones qui remplacèrent rapidement les cadres francophones dans les domaines de l’information, du commerce, de l’économie, de l’industrie et de l’administration.

Contrairement aux attentes des autorités, l'assimilation des francophones s'est révélée impossible, les quelque 500 familles anglaises ne pouvant pas assimiler la vaste majorité de la population. De plus, les coureurs des bois francophones disséminés dans la région des Grands Lacs demeurèrent hors de portée des autorités qui les considéraient comme un « ramassis de vagabonds sans foi ni loi ». Enfin, le gouverneur constatait que les colons de la Nouvelle-Angleterre manifestaient de plus en plus violemment leur mécontentement et exigeaient des changements radicaux. Évidemment, les  colons anglais des Treize Colonies furent  bien déçus de ne pouvoir faire main basse sur les nouveaux territoires récemment acquis, eux qui désiraient élargir leur expansion vers l'ouest. Or, c'est surtout ce que les autorités britanniques ne voulaient pas. Au contraire, elles désiraient plutôt favoriser les surplus de population vers le nord : le Québec et la Nouvelle-Écosse, ce qui permettrait d'assimiler les « nouveaux sujets » (les francophones) de Sa Majesté. Accepter que les colons de la Nouvelle-Angleterre poursuivent leur expansion vers l'ouest, c'était tenir pour acquis que le Canada resterait indéfiniment français.

Avant d'en arriver à minoriser les Canadiens dans leur pays, il fallait que les autorités britanniques fassent preuve de patience; le gouverneur James Murray comprit la situation et se montra tolérant. Contrairement aux premières directives de Londres, il laissa la hiérarchie catholique remplir les obligations de son ministère, dispensa du serment du test les Canadiens dont il avait besoin pour les fonctions publiques et autorisa qu'on plaidât en français en recourant aux lois civiles d'avant la Conquête. Le successeur de Murray, le gouverneur Guy Carleton, continua de pratiquer une politique tout aussi conciliante à l'égard des francophones et à rechercher leur appui, malgré l'indignation de la population anglaise, essentiellement des commerçants londoniens, nouvellement arrivés dans la « province ».

Pendant ce temps, les commerçants anglais avaient commencé à diriger l'économie de la colonie. Dès 1765, une pétition adressée au roi par un groupe de marchands anglais demande « l'établissement d'une Chambre des représentants dans cette province comme dans toutes les autres colonies » sous domination britannique. Dans l'esprit des pétitionnaires, seuls les « anciens sujets de Sa Majesté » — les Britanniques installés au Canada — devaient être éligibles.  Après tout, la colonie de la Nouvelle-Écosse avait bien son assemblée depuis 1758. Toutefois, les Canadiens, désignés comme les « nouveaux sujets de Sa Majesté », portèrent peu d'intérêt à ces revendications qui les auraient exclus de la carrière parlementaire. De toute façon, les autorités britanniques refusèrent la demande des marchands. Puis les sociétés britanniques s'installèrent dans la province et s'y comportèrent en nouveaux maîtres. Pour leur part, les commerçants français avaient quitté le pays ou avaient été ruinés parce que, en vertu des lois britanniques, la Grande-Bretagne exigeait que le commerce se fasse par ses sociétés. C'est donc l'anglais qui, après 1763, servit progressivement, à Montréal et à Québec, de langue véhiculaire porteuse de la « civilisation universelle ». Dans les faits, l'anglais ne remplaça pas le français dans la vie quotidienne des Canadiens francophones, mais lentement la langue française du Canada commença à s'imprégner de nouveaux mots transmis par les « anciens sujets » (les Britanniques) de Sa Majesté.

Fréderik Haldimand

La Conquête anglaise apporta aussi aux Canadiens l'imprimerie et les journaux (interdits sous le Régime français), qui contribuèrent à répandre la langue française écrite. Les imprimeurs américains Brown et Gilmore arrivèrent à Québec en 1764 et publièrent le premier journal, la Gazette de Québec / The Quebec CGazette, un journal bilingue de quatre pages et soutenu par 143 abonnés. Plus d'une dizaine d'années plus tard, le Français Fleury Mesplet publiera en juin 1778, à Montréal, l'ancêtre de The Gazette : La Gazette littéraire pour la ville et district de Montréal. Par ailleurs, le gouverneur Frederik Haldimand (1778-1784), un Suisse francophone (originaire du canton de Vaud), fonda la première bibliothèque publique du pays qu'il installa dans l'ancien palais épiscopal de Québec, loué par le gouvernement; elle était bilingue. 

Nouvelle-Écosse
Nouvelle Écosse

En vertu de la Proclamation royale de 1763, la Nouvelle-Écosse constituait une colonie autonome, mais intégrait l'île Saint-Jean appelée Saint John Island (qui deviendra plus tard l'île du Prince-Édouard) et l'île Royale (baptisée alors Cape Breton Island ou île du Cap-Breton), ainsi que le Nouveau-Brunswick actuel :

Article 4

Nous avons aussi, de l'avis de Notre Conseil privé, cru opportun d'annexer l'île Saint-Jean et l'île du Cap-Breton ou île Royale, ainsi que les îles de moindre dimension situées dans leurs environs, au gouvernement de la Nouvelle-Écosse.

Massivement anglophone depuis le départ des Acadiens, la colonie pouvait utiliser exclusivement l'anglais sans inconvénient. Après 1760, les colons de la Nouvelle-Angleterre avaient commencé à se diriger vers la Nouvelle-Écosse. Ils prirent possession des terres fertiles bien irriguées, qui appartenaient autrefois aux Acadiens, notamment autour de la baie Française devenue la baie de Fundy. Au nombre d'environ 9000 (probablement 12 000), ces immigrants changèrent radicalement la composition ethnique de la colonie néo-écossaise. Pour la première fois depuis 1713, la colonie était composée d'une majorité d'origine britannique et écossaise, parlant la langue anglaise et pratiquant la religion protestante (anglicane). Forcément, la colonie de la Nouvelle-Écosse ne vivait pas les mêmes problèmes linguistiques que dans la nouvelle « province de Québec » aux prises avec une forte majorité francophone. Si les Acadiens pouvaient être simplement ignorés, il était impossible d'agir ainsi avec les Canadiens de langue française.

En 1764, les Acadiens déportés reçurent l'autorisation de retourner en Nouvelle-Écosse, à la condition de prêter allégeance à la Grande-Bretagne. Certains Acadiens revinrent de la Nouvelle-Angleterre, notamment de la Géorgie et de la Caroline du Sud, d'autres de la province de Québec. Ils se concentrèrent d'abord autour des villes de Yarmouth et de Digby, et continuèrent à parler le français. Mais en 1771, on ne comptait que 2 000 Acadiens en Nouvelle-Écosse, soit moins du cinquième de la population d'origine. De majoritaires qu'ils étaient avant 1755, ils étaient devenus irrémédiablement minoritaires. À cette époque, la question des droits linguistiques ne se posait pas, seule la langue anglaise avait droit de cité, sauf dans les maisons privées où les gens continuaient de parler leur langue maternelle: l'anglais pour les Britanniques, l'écossais pour les Écossais et le français pour les Acadiens.

À l'île Saint-Jean, dès le lendemain de la Conquête, 67 propriétaires britanniques divisèrent le territoire en 67 municipalités de 20 000 acres chacune. Ces propriétaires seront toujours absents du territoire et ne s'occuperont de leurs terres que pour recueillir l'argent du loyer. Comme les colons qui vivaient sur ces terres ne faisaient que les louer, ils n'étaient guère motivés à les améliorer. En 1767, fut fondée la ville de Charlottetown qui doit son nom à la reine Charlotte, épouse de George III; Charlottetown deviendra en 1769 la capitale de la province de l'Île-du-Prince-Édouard.

Les autres territoires

Si la Proclamation royale de 1763 ne faisait aucune mention de la froide et inhospitalière Terre-Neuve, c'est que le gouvernement britannique ne favorisait pas le peuplement ni la colonisation de l'île. Il la considérait comme « un grand navire anglais amarré près des Grands Bancs », destiné uniquement à faciliter la pêche et protéger en même temps le lucratif marché contrôlé par les marchands britanniques. Or, un peuplement intensif de l'île pouvait affecter la rentabilité de cette gigantesque entreprise commerciale. Néanmoins, dans les années qui suivirent 1760, entre 8000 à 9000 personnes hibernaient à Terre-Neuve, et la population doublait au cours de l'été. Au 18e siècle, la population resta concentrée entre Bonavista et la péninsule d'Avalon, c'est-à-dire là où la pêche était la plus abondante. C'est la langue anglaise de Londres qui devint le véhicule des communications, mais les pêcheurs parlaient un anglais des classes populaires du sud-ouest de l'Angleterre, qui s'écartait de l'anglais londonien.

Quant à la Terre de Rupert, elle demeurait sous le contrôle exclusif de la Compagnie de la Baie d'Hudson, qui ne pratiquait pas de politique de peuplement. La Proclamation royale prescrivait que les terres accordées aux Indiens ne comprennent pas les « terres accordées à la compagnie de la Baie d'Hudson ». La Compagnie de la Baie d'Hudson utilisait l'anglais pour communiquer avec les autochtones ou recourait à des interprètes francophones du « pays d'en haut ».

Par ailleurs, la Proclamation royale comptait plusieurs dispositions touchant les peuples autochtones. Elle excluait, il est vrai, les terres concédées à la Compagnie de la Baie d'Hudson, mais également les régions colonisées du Québec, de Terre-Neuve, de la Floride et des 13 colonies de la Nouvelle-Angleterre. La Proclamation interdisait formellement à tout acquéreur potentiel, autre que la Couronne, d’acheter des terres appartenant aux autochtones : « Nous défendons aussi strictement par la présente à tous Nos sujets, sous peine de s'attirer Notre déplaisir, d'acheter ou posséder aucune terre ci-dessus réservée, ou d'y former aucun établissement, sans avoir au préalable obtenu Notre permission spéciale et une licence à ce sujet ». Les peuples des Premières Nations continuèrent d'utiliser leurs langues ancestrales dans leur communauté respective. 

Les revers de la Conquête

Toute victoire a un coût, celle de la Conquête britannique au Canada ne faisant pas exception. Les revers de la Conquête n'eurent rien de linguistique, car ils étaient d'ordre économique et administratif; ils auront quand même des conséquences déterminantes pour l'avenir du Canada.

La Grande-Bretagne avait dû emprunter d'énormes sommes d'argent pour payer ses coûteuses opérations militaires en Amérique du Nord. Depuis, la dette nationale avait doublé et s'élevait à 147 millions de livres, alors que les taxes avaient augmenté de 20 %. Certains ministres anglais étaient sidérés de constater que les seuls intérêts de la dette coûtaient annuellement au trésor public près de cinq millions de livres, une somme considérable pour l'époque. Pour le roi et le gouvernement, il fallait trouver des solutions pour récolter des revenus plus élevés en Amérique. À court d’argent, le gouvernement britannique décida unilatéralement de faire rembourser une partie des dépenses par les Treize Colonies, grâce à des taxes directes sur des biens tels que le thé, le vin, le sucre, la mélasse, les journaux, etc. Il paraissait tout à fait normal pour le gouvernement britannique de faire défrayer par les colonies une partie des dépenses encourues pour leurs bénéfices. Cependant, les colonies britanniques refusèrent de prêter main forte à la mère patrie en remboursant ses dettes; elles prétendirent que Londres avait fait la guerre pour des raisons d'intérêt personnel et que le conflit n'avait rien à voir avec les colons.

Carte de l’Amérique du Nord britannique

©Jacques Leclerc 2018

Rappelons qu'à cette époque la Grande-Bretagne comptait 17 colonies et un territoire réservé (le « Territoire indien ») : les Treize Colonie de la Nouvelle-Angleterre, Terre-Neuve (et Labrador), la Nouvelle-Écosse, la province de Québec et la Floride. Mais, de toutes ces colonies, seules celles de la Nouvelle-Angleterre pouvaient réellement contribuer à rembourser la dette britannique en raison de leur population plus importante.

En même temps, les Treize Colonies ne voyaient plus l'intérêt de ce coûteux dispositif militaire britannique dont elles ne croyaient plus avoir besoin en raison de la chute de la Nouvelle-France. De plus, les colons de la Nouvelle-Angleterre n'avaient attendu que la victoire britannique pour poursuivre enfin leur expansion vers l'ouest. Mais c'était sans compter sur la politique du nouveau roi George III (dont le règne venait de commencer en 1760) qui avait décidé d'administrer vigoureusement les colonies de l'Amérique du Nord et les rappeler à l'ordre. Dès son arrivée sur le trône, George III manifesta sont intention de renforcer les prérogatives royales.

D'abord, au lieu de répondre aux aspirations d'expansion de ses colonies, la Grande-Bretagne réserva le « Territoire indien » aux autochtones et interdit même aux colons de s'y installer, l'entrée du territoire étant gardée par des garnisons britanniques. On peut lire dans la Proclamation royale de 1763 :

Nous défendons aussi strictement par la présente à tous Nos sujets, sous peine de s'attirer Notre déplaisir, d'acheter ou posséder aucune terre ci-dessus réservée, ou d'y former aucun établissement, sans avoir au préalable obtenu Notre permission spéciale et une licence à ce sujet.

Nous enjoignons et ordonnons strictement à tous ceux qui en connaissance de cause ou par inadvertance, se sont établis sur des terres situées dans les limites des contrées décrites ci-dessus ou sur toute autre terre qui n'ayant pas été cédées ou achetées par Nous se trouve également réservée pour lesdits sauvages, de quitter immédiatement leurs établissements.

Ainsi, après avoir accru ses possessions sur le continent nord-américain, les frontières ne furent pas modifiées à l'avantage des colons anglais. Au contraire, la Grande-Bretagne manifestait ainsi son opposition au désir d'expansion de ses colons. C'était la première grande déception après la guerre de Sept Ans.

La seconde déception concernait la Loi sur le cantonnement (Quartering Act) du 24 mars 1765, qui ordonnait aux autorités coloniales d'assurer le logement des soldats de la Couronne britannique. Or, le maintien de l'armée anglaise en temps de paix, soit près de 10 000 hommes, sur les territoires coloniaux provoqua de nombreuses récriminations, surtout que la Loi sur le cantonnement permettait de réquisitionner des maisons privées pour loger les soldats. Puis le parlement de Londres adopta la Loi sur la monnaie (Money Act), la Loi sur le timbre (Stamp Act), la Loi sur le sucre (Sugar Act) , etc., le tout destiné à résoudre l'énorme dette accumulée durant la guerre de Sept Ans. Par exemple, les recettes de la Loi sur le timbre (qui imposait qu’un timbre fiscal figure sur une multitude de documents comme les permis, les contrats, les assurances, les journaux, les cartes à jouer, etc.) devaient financer un tiers du coût de l’armée de 10 000 soldats britanniques que le premier ministre William Wyndham Grenville voulait entretenir en Amérique du Nord. De plus, afin de bien montrer son intention ferme de percevoir ces taxes, le gouvernement britannique envoya ses propres douaniers, protégés par son armée, avec des pouvoirs spéciaux tels que l'autorisation de pénétrer dans n'importe quel local (privé ou public) pour vérifier les marchandises et saisir toutes celles qui seraient illégales. Pour ce faire, les douaniers reçurent des mandats permanents de perquisition (les Writs of Assistance). Toutes ces taxes s'ajoutaient à la Loi sur la monnaie (Currency Actdu 1 er septembre 1763, qui interdisait formellement l'émission de papier-monnaie dans les colonies et les privait de liquidités.

Si ces mesures suscitèrent un profond ressentiment au Canada, elles causèrent une profonde colère dans les colonies de la Nouvelle-Angleterre. Douze colonies sur treize (il ne manquait que la Géorgie) se réunirent au sein du « Congrès contre la Loi sur le timbre » (le Stamp Act Congress), tandis que Benjamin Franklin défendait la cause des colons à Londres. Aux yeux des colons de la Nouvelle-Angleterre, ces lois violaient le droit des sujets britanniques de ne pas être taxés sans consentement de leurs représentants en vertu du principe No taxation without representation (« Pas de taxation sans représentation »), parce que les colonies n'étaient pas représentées au Parlement britannique; ces lois diminuaient ainsi l'indépendance de leurs assemblées coloniales et constituaient la première étape d'un « complot » visant à les priver de leurs libertés. Comme par hasard, au même moment, la Gazette de Québec, le seul journal publié en édition bilingue dans la province, cessa brusquement de paraître. La Loi sur le timbre suscita tellement de mécontentements que le Parlement britannique dut, l'année suivante, abroger sa loi (le 1 er mai 1766). En réalité, le Parlement n'avait pas révoqué sa Loi sur le timbre parce qu'il donnait raison aux colons, mais parce qu'il n'était pas en position de la faire respecter par l'armée de Sa Majesté.

En abrogeant la Loi sur le timbre, le gouvernement britannique se crut avisé de la remplacer par la Loi déclaratoire (Declaratory Act) du 18 mars 1766. Par cette loi, le Parlement se donnait tout pouvoir de légiférer sur les possessions britanniques d'outre-atlantique et « d'astreindre les colonies et le peuple d'Amérique, sujets de la Couronne de Grande-Bretagne, dans toutes les circonstances, quelles qu'elles soient » (« to bind the colonies and people of America, subjects of the crown of Great Britain, in all cases whatsoever »). En fait, le Parlement britannique était offusqué et n'acceptait aucunement l'argument des colonies selon lequel leurs assemblées étaient légitimes et représentatives. Au mois de mai de 1766, la Gazette de Québec reprit ses activités.

En 1767, la Grande-Bretagne imposa de nouvelles taxes (verre, plomb, peintures, papier et thé) avec les Townshend Acts (du nom du chancelier de l'Échiquier ou ministre des Finances, Charles Townshend), qui ne servirent qu'à mettre le feu aux poudres. Comme la plupart des nouvelles taxes servaient presque exclusivement à payer les salaires des percepteurs et assurer leur sécurité, sans même payer la dette, les colons de la Nouvelle-Angleterre décidèrent de boycotter les produits exportés par la Grande-Bretagne et de ne plus payer les taxes aussi longtemps qu'ils n'auront pas exprimé leur avis sur la question de l'absence des représentants coloniaux au parlement de Londres, en vertu du principe « pas de taxation sans représentation ». En 1770, Londres supprima les taxes sur tous les produits, sauf le thé, mais des soldats britanniques furent envoyés à Boston pour protéger les collecteurs de taxes. Ces mesures furent bien accueillies en Amérique et le calme revint, ce qui laissait croire que le point de vue des « patriotes » avait triomphé. Toutefois, la Loi sur le thé (Tea Act) de 1773 relança la contestation dans toute la Nouvelle-Angleterre et conduisit à l'ultime escalade; par mesure de protestation, les colons cessèrent de boire du thé. Si la question de la taxation avait servi de révélateur, les événements qui allaient suivre amenèrent les colons de la Nouvelle-Angleterre à se concerter en bloc contre la mère patrie et surtout contre le roi d'Angleterre, George III, perçu alors comme un tyran.

Acte de Québec de 1774 et dualité linguistique
Guy Carleton

Devant les difficultés et le climat qui se détérioraient dans les colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre, le gouvernement britannique devait prendre des mesures afin d'éviter que se propagent les tendances autonomistes dans ses colonies du Nord. Pour sa part, le gouverneur de la « province de Québec », Guy Carleton, un aristocrate anglo-irlandais, ne semblait guère avoir une grande confiance envers les Canadiens, du moins si l'on en juge par ces propos : « J'ose croire que, si nous pouvions compter sur la population, nous pourrions tenir la place. Mais nous avons tant d'ennemis chez ce peuple sot trompé par des traîtres. »

Malgré son peu d'enthousiasme, le gouverneur Carleton recommanda à Londres de prendre des dispositions afin de s'assurer la fidélité des Canadiens en cas de conflit avec les Treize Colonies. C'est que le pragmatisme politique prévalut; le gouverneur Carleton jugea préférable de prendre position en faveur des Canadiens plutôt que pour les marchands anglais. Il devint même, à certains égards, sympathique à la cause des Canadiens. Il finit par tolérer que les affaires judiciaires impliquant des Canadiens soient jugées selon les lois françaises et que des catholiques puissent accéder à des fonctions officielles. 

Réalisme politique des Britanniques

Par réalisme politique, le gouvernement britannique fit adopter par le parlement de Westminster, le 20 mai 1774, l'Acte de Québec (traduction traditionnelle de Quebec Act), une loi constitutionnelle destinée à modifier le statut de la « province de Québec ». La loi portait le titre complet suivant : « Act for making more effectual provision for the government of the province of Quebec in North America » (Loi réglementant plus solidement le gouvernement de la province de Québec en Amérique du Nord). Cette loi témoignait avec éloquence des concessions faites par Londres dans l'administration de la colonie, afin de gagner l'appui des Canadiens face à l'agitation grandissante de la Nouvelle-Angleterre.

L'article 4 de l'Acte de Québec décrétait la révocation de la Proclamation royale de 1763, concernant le droit français et de tous les pouvoirs exercés par les gouverneurs de 1760 à 1774 : c'était la remise en vigueur de la Coutume de Paris, c'est-à-dire des lois civiles françaises. Devant les difficultés de faire fonctionner la « province de Québec » avec leurs lois et leur langue, les autorités britanniques avaient fini par se plier aux circonstances et, en quelque sorte, battre en retraite. L'Acte de Québec constitue certainement l'une des lois les plus décisives de l'histoire canadienne. 

Réalisme politique des Britanniques
©Jacques Leclerc 2018

La nouvelle Constitution qui régissait la « province de Québec » agrandissait considérablement le territoire de la colonie en lui ajoutant la zone amérindienne créée en 1763, c'est-à-dire le nord de la province à partir du Labrador jusque dans la région des Grands Lacs. En élargissant les frontières du Québec, les autorités britanniques s'assuraient ainsi du contrôle à partir du Labrador jusqu'à la vallée de l'Ohio, incluant le système hydrographique des Grands Lacs et la vallée du Saint-Laurent. Bref, la Grande-Bretagne redonnait à la « province de Québec » un territoire qui rappelait celui de la Nouvelle-France (sans la Louisiane).

La loi constitutionnelle réorganisait aussi le système judiciaire. Les lois civiles françaises étaient rétablies sur tout le nouveau territoire, mais en matière criminelle le droit anglais continuait de s'appliquer. La religion catholique était maintenant officiellement reconnue; cela permettait aux Canadiens d'accéder à la magistrature et aux autres fonctions publiques. L'Acte de Québec abolissait aussi le fameux serment du test et autorisait le clergé catholique à percevoir la dîme. De plus, la loi reconnaissait comme légal le régime seigneurial en usage dans la colonie depuis le Régime français. Cependant, Londres n'avait pas accordé d'assemblée élue de peur qu'elle soit contrôlée par la majorité francophone.

Parce que le français ne faisait pas encore problème, l'Acte de Québec, comme c'était la coutume à l'époque, est demeuré silencieux au sujet de la langue. Le français était toujours la langue des communications internationales, la Cour de Londres l'utilisait parfois, les hauts fonctionnaires de la province étaient bilingues, comme l'étaient tous les Anglais appartenant aux classes supérieures de la société. Durant de nombreuses décennies, tous les gouverneurs généraux furent bilingues.

En d'autres mots, on pourrait dire que l'Acte de Québec assurait implicitement au français un usage presque officiel, surtout en rétablissant les lois civiles françaises (qui étaient forcément rédigées en français). On n'a pas vu la nécessité de consacrer à la langue une disposition particulière dans le document constitutionnel. En tout cas, c'est principalement à partir d'un texte juridique très ambigu que s'autoriseront, dans les régimes ultérieurs, les défenseurs de la langue française pour justifier leurs droits acquis au Canada :

Article 8

Il est aussi établi, par la susdite autorité, que tous les sujets Canadiens de Sa Majesté en ladite province de Québec (les Ordres religieux et Communautés seulement exceptés) pourront aussi tenir leurs propriétés et possessions, et en jouir, ensemble de tous les usages et coutumes qui les concernent, et de tous leurs autres droits de citoyens, d'une manière aussi ample, aussi étendue, et aussi avantageuse, que si lesdites proclamation, commissions, ordonnances, et autres actes et instruments, n'avoient point été faits, en gardant à Sa Majesté la foi et fidélité qu'ils lui doivent, et la soumission due à la couronne et au parlement de la Grande-Bretagne : et que dans toutes affaires en litige, qui concerneront leurs propriétés et leurs droits de citoyens, ils auront recours aux lois du Canada, comme les maximes sur lesquelles elles doivent être décidées : et que tous procès qui seront à l'avenir intentés dans aucune des cours de justice, qui seront constituées dans ladite province, par Sa Majesté, ses héritiers et successeurs, y seront juges, eu égard à telles propriétés et à tels droits, en conséquence desdites lois et coutumes du Canada, jusqu'à ce qu'elles soient changées ou altérées par quelques ordonnances qui seront passées à l'avenir dans ladite province par le Gouverneur, Lieutenant-Gouverneur, ou Commandant en chef, de l'avis et consentement du Conseil législatif qui y sera constitué de la manière ci-après mentionnée.

Au Canada, la loi constitutionnelle fut bien accueillie par les Canadiens en général, surtout par l'aristocratie seigneuriale qui voyait reconnaître ses droits et par le clergé catholique qui recevait un meilleur statut. Mais elle souleva l'indignation des marchands anglais à qui Londres refusait son assemblée représentative dans la province tout en remettant en vigueur des lois civiles françaises. Le 1 er mai 1775, on inaugura à Montréal un buste de George III afin de souligner l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution (l'Acte de Québec). La foule des Montréalais constata avec surprise que le buste portait l'inscription « Voilà le pape du Canada et le sot Anglais ». Il semble que des marchands anglo-protestants en colère contre le souverain aient été à l'origine de cet acte de vandalisme.

De toute façon, la colère des Anglais de Montréal apparut comme une simple « irritation » en comparaison de celle des colons de la Nouvelle-Angleterre, qui allèrent jusqu'à la rébellion armée. Le 8 mai, le gouverneur de la province publia une proclamation promettant « 200 piastres » à ceux qui dénonceront les coupables, ces personnes « méchantes et mal intentionnées [...] ayant défiguré impudemment le Buste de sa Majesté, en la ville de Montréal, en cette province ». Les coupables ne furent jamais trouvés, malgré la promesse d'une récompense en argent annoncée par les autorités. La disparition du symbole de la monarchie fut attribuée aux troupes américaines qui se sont emparées de Montréal en 1775.

Réaction des colons de la Nouvelle-Angleterre
Georges III

Dans les colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre déjà exaspérés depuis près de dix ans, l'Acte de Québec provoqua l'indignation et la révolte. Pour les colons, l'Acte de Québec était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase.  Cette loi du Parlement britannique faisait partie des quatre « lois intolérables » (« Intolerable Acts ») adoptées plus ou moins en même temps :

  1. la Loi sur le port de Boston (Boston Port Act) du 1 er juin 1974, qui bloquait le port de Boston, le temps que le coût du thé détruit par les colons n'aura pas été remboursé, ce qui menaçait l'existence même de la ville de Boston;

  2. la Loi sur l'administration de la justice (Administration of Justice Act) du 20 mai 1774, qui énonçait que les fonctionnaires britanniques ne pouvaient pas être jugés dans des cours provinciales (coloniales) pour des crimes commis et qu'ils devaient être extradés en Grande-Bretagne pour y être jugés;

  3. la Loi sur le gouvernement du Massachusetts (Massachusetts Government Act) du 20 mai 1774, qui permettait à la Couronne de nommer des conseillers au Massachusetts, alors qu'auparavant ils étaient choisis par les habitants de la colonie. De plus, les réunions municipales étaient assujetties à l'autorisation préalable du gouverneur, duquel dépendait aussi la nomination ou la révocation des juges et des shérifs;

  4. l'Acte de Québec (Quebec Act) du 20 mai 1774, qui modifiait les frontières canadiennes au profit des Canadiens, francophones et catholiques romains, et ce, aux dépens des Treize Colonies.

Les colons anglais n'acceptèrent pas que Londres puisse accorder des droits territoriaux à leurs ex-ennemis de la Nouvelle-France contre lesquels ils avaient combattu une quinzaine d'années plus tôt, sans parler de la reconnaissance « en terre britannique » des « papistes canadiens ». Les marchands de New York et d'Albany furent indignés de voir limiter leur expansion vers l'ouest et devoir faire passer le commerce des fourrures des Grands Lacs au profit de Montréal, comme avant la conquête de 1760. Il était inadmissible pour les colons anglais que l'Acte de Québec semble non seulement mettre de côté tout projet d'assimilation envers les Canadiens français, mais affirmait juridiquement l'existence d'une civilisation française en Amérique. Ils dénoncèrent aussitôt la « collusion anglo-canadienne ». Un avocat bostonnais écrivit alors: « Eh quoi! Nous, les Américains, avons-nous dépensé autant de sang et de richesses au service de la Grande-Bretagne dans la conquête du Canada, pour que les Britanniques et les Canadiens puissent maintenant nous subjuguer? »

C'est pourquoi l'Acte de Québec, comme les autres lois appelées « lois intolérables » (les Intolerable Acts), paraissait tout à fait inacceptable pour les colons des Treize Colonies, qui perçurent l'Acte de Québec comme une manoeuvre dirigée expressément contre eux. Ce n'était pas faux dans la mesure où les autorités britanniques avaient décidé d'avantager les Canadiens aux dépens des colons de la Nouvelle-Angleterre. Pourtant, les Britanniques n'avaient pas abandonné leur projet d'assimilation des Canadiens: ils ne faisaient que s'adapter provisoirement aux circonstances. Au fur et à mesure que les stratèges britanniques constataient que le monde anglo-saxon s'acheminait inéluctablement vers la guerre, ils en étaient venus à voir dans les Canadiens des alliés potentiels, la colonie ne disposant que de quelques centaines de commerçants et de fonctionnaires anglophones, la vaste majorité restant de langue française et de religion catholique. Jusqu'ici, les Britanniques avaient échoué dans leur tentative de faire venir des immigrants dans la « province de Québec ». Rappelons que les principales dispositions de l'Acte de Québec furent en partie l'oeuvre de Guy Carleton, gouverneur de la province de Québec de 1766 à 1778 et de 1786 à 1796 (revenu sous le nom de Lord Dorchester).

En réalité, enfin débarrassés du rival français « qui ne laissait pas un moment de repos » (selon les mots de Benjamin Franklin), les colons de la Nouvelle-Angleterre refusaient l'intervention de la Métropole, qui les empêchait de protéger leurs propres intérêts commerciaux et de jouir pleinement des libertés qu'ils croyaient enfin acquises. Autrement dit, l'ancienne Nouvelle-France, une fois devenue britannique, bloquait toujours l'expansion des Treize Colonies vers l'Ouest et servait même de base militaire à une mère patrie devenue l'ennemi à combattre. Il fallait donc éliminer cette menace. 

Rupture des Treize Colonies
Treize colonies

Dans le conflit qui opposait les Treize Colonies anglaises à la Grande-Bretagne, George III avait pris le parti d’augmenter les impôts malgré les nombreux conseils avisés de ses ministres. Pour beaucoup d'historiens, la politique intraitable du roi fut largement responsable de la guerre d’indépendance menée par les Américains. D'ailleurs, l’issue catastrophique de cette guerre mit fin au pouvoir politique du roi au profit des premiers ministres tout-puissants.

Puis les députés de la Nouvelle-Angleterre réunis en congrès à Philadelphie, en octobre 1774, adressèrent aux Canadiens de la province de Québec une lettre officielle dans laquelle ils leur demandaient de s'unir à eux; ils disaient vouloir « éclairer leur ignorance et leur apprendre les bienfaits de la liberté ». Ils plaignaient le peuple canadien « non seulement lésé mais outragé » et dénonçaient l'Acte de Québe c comme « un leurre et une perfidie ». Rédigée en français (en réalité traduite par Fleury Mesplet, alors imprimeur de langue française pour le Congrès américain) afin de les inviter à former le 14e État des futurs États-Unis, la lettre était adressée à « Nos amis et concitoyens » canadiens :

Saisissez l'occasion que la Providence elle-même vous offre, votre conquête vous a acquis la liberté si vous vous comportez comme vous le devez [...]. vous n'êtes qu'un très petit nombre en comparaison de ceux qui vous invitent à bras ouverts de vous joindre à eux; un instant de réflexion doit vous convaincre qu'il convient mieux à vos intérêts et à votre bonheur, de vous procurer l'amitié constante des peuples de l'Amérique septentrionale, que de les rendre vos implacables ennemis. [...] Votre province est le seul anneau qui manque pour compléter la chaîne forte et éclatante de leur union. Votre pays est naturellement joint au leur; joignez-vous aussi dans vos intérêts politiques; leur propre bien-être ne permettra jamais qu'ils vous abandonnent ou qu'ils vous trahissent.

L'idée plut à certains marchands anglophones de Montréal, qui n'acceptaient pas l'Acte de Québec, mais les Canadiens, qui se méfiaient de cette « guerre entre Anglais », n'eurent guère envie d'y participer.

Puis, dans les Treize Colonies du Sud, un second Congrès eut lieu en mai 1775 : la situation s'envenima et l'état de guerre fut déclaré, tandis que George Washington se vit confier le commandement de l'armée des insurgés. La rupture qui allait suivre entre le Canada et les Treize Colonies fut le point de départ de la formation de deux nations anglophones en Amérique du Nord : les États-Unis d'Amérique et le Canada britannique. Par le fait même, l'Acte de Québec de 1774 connut une existence très éphémère en raison de la guerre de l'Indépendance américaine qui éclata l'année suivante. Plus précisément, l'Acte de Québec ne fut réellement appliqué que durant une seule année. 

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